Ce qu’il faut comprendre, c’est que la quasi-totalité des événements qui surviennent sont hautement improbables. De fait, il est à tout moment hautement probable qu’un événement improbable survienne. Et ce, d’autant plus lorsqu’on voyage.

C’est arrivé alors que je marchais – rien d’inhabituel, somme toute – en direction de Ioannina, en Grèce. J’avais alors quatre-vingt-sept mille mètres en longueur et un bon millier en hauteur dans les pattes, depuis ma dernière escale à Igoumenitsa, quatre jours plus tôt. Ragaillardi par mon arrivée imminente, je pressai un peu plus le pas lorsqu’une voiture s’arrêta à ma droite, sur la voie opposée car je marche la plupart du temps à gauche par sécurité. Une vitre se baissa et l’habituelle question jaillit : « Where are you from ? ». La tout aussi habituelle réponse s’accompagna d’un sourire, alors que je traversai pour parler plus confortablement. Kostas, car c’est son nom, pensait que j’étais un voyageur dont lui avaient parlé des couchsurfers qu’il avait accueilli chez lui quelques semaines plus tôt. Eh bien non, mais qu’à cela ne tienne, il me proposa de venir chez lui, il y avait toujours un lit pour les nombreux voyageurs qui passaient dans le coin.

Quelques instants plus tard, je suivais donc des yeux la route que j’avais parcourrue à pieds quelques minutes plus tôt. J’avais accepté de revenir en arrière, et de m’éloigner de Ioannina pour rejoindre le petit village de Zitsa, où mon nouvel ami tenait une boulangerie. C’est dans le logement au-dessus de la boutique que je fis connaissance de sa compagne américaine, Anna, de sa mère, Vasilika, et de sa fille… Vasilika aussi.

Devant la boulangerie de Zitsa, avec (de gauche à droite), Vasilika, Kostas et Josh

Le générateur d’improbabilités était lancé, et par la suite, les événements se précipitèrent. Arrivèrent Josh, un anglais Hellénophile et traducteur de grec, accompagné de Sylvana et son collègue, tous deux professeurs de fac à Athènes et Ioannina. Les suivant, je me retrouvai soudain dans le monastère de Zitsa. Sylvana, philologue et prof de grec ancien, voulait voir les représentations d’icônes orthodoxes. Elle m’expliqua qu’il existait une parfaite continuité entre la religion polythéiste antique, et l’orthodoxie actuelle : les saints ont tout simplement remplacé les dieux !

Deux nuits passèrent. Après avoir visité la ferme familiale avec Josh et Vasilika, je me retrouvai de nouveau en voiture pour Ioannina en compagnie de Kostas, Anna, Josh et Sylvana, pour aller fêter Thanksgiving chez des amis à eux. Dans le grand appartement où nous nous retrouvâmes, l’ambiance était des plus incroyables. Internationale, même :  des grecs, bien sûr, mais aussi des québécois, des américains, un anglais, une turque, une albanaise, une mexicaine et un français, moi. J’étais de loin le plus mal habillé – et le plus jeune ! – mais cela ne semblait pas les gêner le moins du monde. La nourriture était excellente, le vin aussi, et les conversations en fancespagrecalbanglais allaient bon train. Puis josh et moi dégainâmes le ukulélé, pour finir la soirée sur des airs tout aussi interlinguistiques.

Le lendemain, Joshua et moi fîmes nos adieux à Kostas et Anna, et retournâmes à Ioannina. Connaissant bien la ville, il me guida pour que j’achète un nouveau pantalon, puis nous rejoignîmes Sylvana pour déjeuner. Après une visite rapide du chateau, ce fut au tour de Josh de partir. Je restai avec Sylvana, qui m’hébergea pour la nuit. Ce fut l’occasion de discuter un peu plus de cette fameuse continuité entre les religions dont elle m’avait parlé. Elle me donna l’explemple de Saint Ilias (Elijah), qui était souvent représenté sur un char tiré par des chevaux… comme le dieu du soleil, Hélios. Ou encore de ce « Saint Mercurios », représenté au monastère de Zitsa, dont le nom rappelle bien sûr Mercure, ou Hermès, dieu des voyageurs !

Sylvana et Josh à Ioannina

Puis ce fut le moment de quitter Ioannina. Mais le générateur d’improbabilité ne s’arrêta pas pour autant ! Il fit une dernière pirouette lorsque, tendant le pouce à l’entrée de l’autoroute, je vis arriver un voyageur. Mendès est français, et habite à Saint-Rémy-lès-Chevreuses, soit à… 17 kilomètres de chez moi ! Tout sourires, nous fîmes du stop ensemble jusqu’à Météora. Nous y restâmes plusieurs jours, le temps de visiter ces immenses formations rocheuses, percées de grottes, au sommet desquelles l’homme avait construit de majestueux monastères.

Dans la neige avec Mendès, en route pour Meteora !

Quand il m’arrive autant de choses incroyables d’un coup, je me demande toujours si c’est que je suis particulièrement chanceux, ou si le nombre de choses extraordinaires dans le monde est bien plus élevé qu’on ne le croit.

En bon scientifique, je ne crois pas vraiment à la chance. Le monde est juste merveilleux !