Bonjour à tous et toutes, lecteurs et lectrices de L’Humeur Mi-Gratin.
 
L’actualité des deniers mois a totalement éclipsé certains sujets. Pourtant, les horreurs inouïes continuent partout en Europe. Permettez-moi donc de pousser ce petit coup de gueule. En partant, pour rester dans le thème, d’une expérience de voyage.
 
Il y a deux ans exactement, je me trouvais sur l’île de Lesbos, en Grèce. Je donnais un coup de main à l’association Mikros Dounias, une « école démocratique » accueillant des enfants réfugiés et des enfants grecs dans le camp autogéré de Pikpa.
 
Pikpa était un sanctuaire. Un lieu de bienveillance, de sécurité, un endroit de paix redonnant la force de vivre à des gens qui, traumatisés par de terribles épreuves dans leurs pays et sur leurs routes d’exil, n’avaient trouvé à leur arrivée en Europe que l’hostilité et la misère de camps tels que Moria.
 
Moria, le plus grand camp de Grèce, prévu pour accueillir 2 000 personnes et en abritant jusqu’à 13 000, vitrine de l’échec cuisant des politiques d’accueil européennes. Pointé du doigt par toutes les organisations de défense des droits humains, pour ses conditions de vie misérables, la mise en danger sérieuse de ses habitant·e·s et la gravité des troubles psychiatriques engendrée par l’entassement de personnes déjà fragilisées.
 
Moria et Pikpa, deux modèles d’accueil, deux visions de l’humain qui ont continué de s’opposer sur cette même île, traversant maintes épreuves ces deux dernières années.
 
Jusqu’à l’ouverture des frontières, en février dernier, par le président turc Erdogan, dans le but de faire pression sur l’Union Européenne, poussant à l’extrême les tensions entre exilé·e·s et habitant·e·s de l’île. Jusqu’à la crise sanitaire de Covid-19, le confinement forcé de plus de 12 000 personnes à Moria, faisant monter la pression à l’intérieur du camp. Jusqu’à l’incendie, inévitable, qui a détruit la quasi-totalité du site, forçant les gens à fuir de nouveau, pour se retrouver face à un cordon de police les empêchant d’aller plus loin.
 
Évacuer les migrants de l’île ? Le gouvernement grec et l’Europe n’y pensent même pas. En quelques semaines, un camp d’urgence est reconstruit, les protestations fortement réprimées, tout semble rentrer dans l’ordre, et les médias internationaux, momentanément sortis de leur torpeur, classent l’affaire. Pourtant, les conditions de vie dans ce nouveau camp sont tout aussi affreuses, si ce n’est pire.
 
Dans ce contexte, on pouvait penser que le gouvernement laisserait tranquille Pikpa, qui propose un hébergement décent à une centaine de personnes… mais non. Et nous arrivons au bout du coup de gueule :
 
LE CAMP AUTOGÉRÉ DE PIKPA VIENT D’ÊTRE EXPULSÉ !
 
Ça s’est passé hier et aujourd’hui. Juste aux portes de l’hiver, alors que la situation à Lesbos n’a jamais été aussi désespérée, on détruit le seul endroit humainement digne de l’île. Un endroit qui accueille pourtant les gens les plus vulnérables : des familles, des femmes isolées, des personnes handicapées ou victimes de stress post-traumatiques, chassées de leur refuge, jetées dans ce dehors menaçant. On ne peut que s’indigner face à cette expulsion, d’autant plus quand on y est venu, qu’on a vu toute la solidarité à l’œuvre dans ce lieu.
 
Mais cette indignation se transforme en fureur quand on change d’échelle pour regarder l’Europe toute entière. Je passerai sur l’extrême-droitisation (pour ne pas dire les discours ouvertement fascistes) de notre gouvernement ; d’autres en parlent bien mieux que moi. On peut en revanche parler de la nouvelle loi anti-squat, qui protège des milliers de logements vides en augmentant la criminalisation des occupant·e·s, pour beaucoup des exilé·e·s, qui n’ont pas d’autre alternative à part vivre à la rue ! Et ailleurs, encore : des violences policières extrêmes contre des exilé·e·s en Croatie et en Bosnie, près de 200 morts au frontières de l’Europe ce week-end, naufrages à répétition dans la Manche, pour les dernières nouvelles.
 
Et le tout passe encore inaperçu. Parce qu’on est trop occupé à parler de confinement, d’attentats terroristes, de « séparatismes » et « d’ensauvagement ». Alors oui, la crise sanitaire, il faut en parler. Oui, il faut parler de ces assassinats, dans le respect des victimes, en évitant les glissements identitaires aux conséquences encore plus graves. Mais ça ne doit pas occulter le reste, ce « terrorisme légal » qui frappe au grand jour – et de plus en plus fort.
 
C’est vrai, l’Humeur Mi-Gratin est un blog de voyage. Mais si vous n’avez pas encore trouvé, essayez d’inverser le « eur » et le « in ». Vous comprendrez que ce blog était prédestiné à parler non pas d’UN voyageur, mais de TOUS les voyageurs, qu’ils soient de passage, d’exil, du temps, de pensée, libres ou forcés, avec ou sans bagage, mouvants ou immobiles. Car qu’est-ce qu’un voyageur, et qu’est-ce qu’un voyage ? De ça, nous en reparlerons dans un prochain article (le temps pour écrire ne va pas manquer).
 
En attendant et pour clore celui-ci, parlons d’une action simple qui, de tous temps, a toujours le mieux combattu l’horreur, et redonné l’espoir : ouvrir sa porte. Ouvrir sa porte à l’étranger, à l’Autre. Ouvrir sa porte pour abriter, réchauffer, nourrir, écouter, ou cacher. Renseignez-vous, il y a plein de manières d’ouvrir sa porte.
 
De ça aussi, nous en reparlerons.