Bastille

« Salut ! Je viens chercher un porte-bagages arrière. C’était bien la vélorution* ? » Je viens d’entrer dans l’atelier vélo associatif de Bastille. Dernier passage avant le départ. Le monsieur à l’accueil me répond un vague « ouais » ; comme d’habitude l’atelier est bondé et il est très occupé. Alors je pose mon vélo dans un coin et vais à l’arrière pour chercher dans les réserves de porte-bagages. Chacun·e est absorbé·e par un problème mécanique quelconque, et l’on ne me remarque pas vraiment. Je farfouille un peu, jusqu’à trouver une pièce qui m’a l’air bien. Simple, léger, solide. Je retourne à mon vélo en faisant un crochet par le tiroir des vis et boulons. Le gars à côté de moi répare la roue d’un vélo pliant rouge. Pendant que je fixe le porte bagages, on discute un peu. Il me demande si je pars pour un tour du monde…

Pas cette fois.

Cette fois, je vais juste à Toulon.

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Plat

Première étape : la Beauce. Vous savez, cette région plate recouverte de monocultures intensives et d’éoliennes. Une terre exsangue, lacérée par le labour, sensée nourrir des millions de braves gens. Ce « grenier de la France » tue sûrement plus de gens d’ennui qu’il n’en sauve de la faim. Heureusement, le monde décide de m’encourager par un magnifique coucher de soleil. De quoi se réchauffer le cœur avant une première nuit glaciale.

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Blois

Le monde est plein de sanctuaires secrets, des paradis cachés « que ne peuvent trouver que ceux qui savent déjà où ils se trouvent ». Et heureusement, Valérian sait où se trouve « Chez Sékou ».

Valérian, on ne le présente plus. Personnage récurrent, surnommé « Le Tourneur« , il a fait son apparition dans les endroits les plus inattendus ; il m’a donc semblé tout naturel de faire un petit détour pour aller lui rendre visite.

Quant-à Sékou, c’est un vieux dominicain qui a décidé, un jour, d’ouvrir un bar à rhum au fond d’une impasse égarée de la ville de Blois. La pièce est chaleureuse, confortable, de petits groupes sont assis aux tables, « pas à plus de six », dit le maître des lieux, car après c’est trop bruyant. C’est ici que je passe ma deuxième et dernière soirée à Blois, avec Valérian et deux amies, entre piña coladas, jeux de plateaux, discussions riches et variées, rhums arrangés.

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Vent frais, vent du matin                                                 (→)

Et du midi, et du soir. Vent de face, vent omniprésent. C’est quand tu passes ta plus petite vitesse sur du plat que tu réalises que quelque chose ne va pas. Mais il faut continuer : sur cette digue surélevée au milieu des terres inondables, plates et dégagées, nous ne trouverons aucun endroit abrité pour planter la tente.

Nous ? Oui nous. Car Joachim est avec moi ! Revenons deux jours en arrière. Reparti de Blois tôt le matin, j’arrive le midi à Orléans pour retrouver mon frère, qui a décidé de m’accompagner pendant quelques jours. La première demi-journée avec lui se passe à merveille. Nous avançons vite et presque sans effort sur le célèbre circuit de la « Loire à vélo », et finissons par planter la tente au bord du fleuve. Un feu vient réchauffer notre soirée, prolongeant le repas et les discussions. Ça fait du bien d’être de retour dans la nature. Le lendemain nous repartons motivés, mais dans l’après-midi le vent se lève, de face ou de côté. Il devient vite beaucoup plus dur d’avancer. A la recherche d’un lieu abrité pour passer la nuit, nous nous écartons de la Loire pour suivre des panneaux indiquant une aire de bivouac. A peine arrivés sur ladite aire, nous sommes abordés par le maire du village qui nous a vu passer. « Vous êtes des voyageurs ? Demande-t-il. Vous n’allez pas dormir dehors avec la tempête qui s’annonce. Venez, je vais vous ouvrir le gymnase ». Comme quoi la pire des météos peut apporter de bonnes choses ! La nuit est des plus confortable, et surtout, nous avons droit à des douches chaudes ! On reconnaît les voyageurs à ce qu’un rien les enchante.

Les jours suivants, le vent continue de souffler, et nous apprécions grandement l’abri d’un canal que la piste longe sur plusieurs kilomètres. Ces moments de répit nous emmènent à rêver :

« Et si on achetait une de ces petites maisons d’éclusiers ? On l’appellerait l’Auberge de l’Ecluse, et tous les cyclistes seraient les bienvenus ! »

« On pourrait avoir une péniche aussi. Une auberge mobile qui s’arrêterait le long de la route et accueillerait pour la soirée les groupes de voyageurs… »

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Détour Alpin

« La tête, la queue, tout est bon dans ma gnôle ! » disait l’Monsieur. Je ne suis pas sûr d’être d’accord, ça tape un peu quand même. Mais ça a l’avantage de calmer la tendinite. Je pédale donc, lentement mais sûrement, vers Chambéry.

Il y a trois jours, Joachim est reparti à Paris. Arrivés à Paray-le-Monial après une journée de vélo moins venteuse que les précédentes, nous décidons de nous séparer là plutôt que de pousser jusqu’à Mâcon, qui est plus loin que nous l’avions prévu. Le lendemain matin, pendant que lui va vers le nord, je décide de prendre un train jusqu’à Lyon : si je ne rattrape pas mon retard, je ne pourrai pas passer voir tout le monde. Je continue donc seul, à travers une région de collines, campagnes et vieilles forêts qui me surprend par sa beauté. Le soir, au détour d’un sentier cyclable, j’aperçois avec émotion les pics blancs des Alpes qui se détachent sur l’horizon. Cette vision encourageante m’aide à supporter la nuit glaciale qui s’ensuit ; au petit matin, tout est recouvert d’un tapis de givre… Je repars sans attendre pour me réchauffer, et bien vite les nuages noirs s’avancent de l’Est. Sur la piste longeant le Rhône, je croise un cycliste venant de Chambéry. « Si tu te dépêches, me dit-il, tu peux passer le Tunnel du Chat avant les premières gouttes ». Lui a moins de chance ; il repart, fonçant tête baissée dans la masse noire et menaçante. Quant-à moi, je pédale de plus belle. Rien de mieux qu’une course contre le temps pour se motiver !

Ce « Tunnel du Chat » est une aubaine. Accessible par une montée très raisonnable, il offre aux cyclistes deux kilomètres d’un minuscule tunnel séparé de la voie principale et décoré de dessins… de chats. De l’autre côté s’ouvre une vue imprenable sur le lac du Bourget, et une longue descente de dix kilomètres récompense tous les efforts fournis.

Mais les efforts, malheureusement, ne font que commencer. Les nuages me rattrapent finalement, un peu avant Aix-les-Bains. Trempé, je me réfugie dans la gare le temps que le grain passe, puis repars vers le Nord, bifurque à droite et commence à grimper dans le massif des Bauges. C’est là que je commence à sentir les premiers signes de tendinite. Deux jours à lutter contre le vent le long de la Loire, une course contre la pluie, les montées, le froid et l’humidité ont eu raison de mes genoux. Mais allons ! Le but n’est plus très loin. Après un dernier coup de pédale, j’arrive enfin chez Simon.

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Simon, c’est un ami d’Anaïs que j’ai rencontré pour la première fois il y a deux ans. A peine plus âgé que moi, il est déjà maraîcher depuis plusieurs années, avec le projet ambitieux et génial de remplacer le tracteur… par des ânes ! Vous connaissez ma passion pour ces animaux et mon intérêt pour les alternatives à l’agriculture intensive. J’étais obligé de passer lui rendre visite. Son accueil spontané et chaleureux me revigore. Il me fait faire le tour : la grange où il profite de l’hiver pour réaménager le comptoir de vente directe, la serre permanente où il fait ses semis, les serres de culture où poussent déjà les premiers légumes, le jardin extérieur, et bien sûr, l’étable où vivent ses deux ânes. La traction animale, bien sûr, c’est plus compliqué, et puis il faut du temps pour apprendre aux ânes à tirer, porter, se déplacer correctement. Mais c’est aussi super résilient, et bien meilleur pour la planète. C’est un véritable engagement. Simon m’explique les prochaines étapes, ce qu’il aimerait faire, les difficultés qu’il rencontre. La simplicité avec laquelle il aborde les choses fait un bien fou. Ici, on donne beaucoup de place au présent.

Le lendemain midi, nous chargeons dans la voiture trois gros bidons de fruits macérés, des bombonnes en verre, mon vélo et mes affaires, et partons en compagnie de son frère pour faire la gnôle. Le « Gnôleur » (on l’appellera ainsi) a installé son alambic dans la cour d’une ferme d’un village voisin. Et c’est là que je dois vous avouer quelque chose.

Un alambic, pour moi, c’était ce petit assemblage de pots et de fins tuyaux en verre utilisé pour les travaux pratiques de physique chimie en classe de troisième.  Erlenmeyer, ballon, colonne de distillation, réfrigérant à eau et tout le bazar.  Aussi ne m’attendais-je pas à voir cet énorme tas de bombonnes, tuyaux de cuivre, cuves, manomètres et leviers de toute sorte posés sur un châssis monumental. Une machine monstrueuse fumant et ronflant, qui dégage une forte odeur de fruits. Le Gnôleur est là, à côté, avec le groupe qu’il a fait passer avant nous. Quand arrive notre tour, nous vidons nos bidons de fruits dans les cuves, et on discute gnôle en attendant que ça sorte. De temps en temps, le Gnôleur pousse un levier, jette un coup d’oeil à une sorte de thermomètre flottant qui mesure le degré d’alcool. Il a bien essayé de m’expliquer comment tout ça fonctionnait, mais j’avoue n’avoir pas très bien compris. Au passage, il nous fait longuement déguster ses propres « oeuvres », et quand finalement nos bombonnes sont remplies et que j’enfourche mon vélo pour reprendre la route, la tendinite semble être passée du genou à la tête. Heureusement, ça descend. Les quelques heures pour se rendre à Chambéry me font le plus grand bien, et c’est avec mes esprits bien retrouvés que je débarque chez Marion.

Avec Marion, ce qui est drôle, c’est que ça a aussi commencé avec des ânes. C’était en 1996, et j’avais tout juste deux ans. Nos parents respectifs, qui venaient de se rencontrer, ont décidé de partir faire une semaine de rando-bivouac entre amis, avec deux ânes loués pour l’occasion. L’expérience s’est tellement bien passée qu’ils ont recommencé deux fois, avant d’acheter un chalet en commun dans les Alpes. Autant dire que Marion et moi avons beaucoup de souvenirs partagés ! Si je ne reste qu’une soirée dans sa coloc de Chambéry, comme d’habitude avec elle, l’accueil est spontané, la discussion facile et enrichissante. Et comme à Blois, comme dans les Bauges, comme plus tard sur la route, je repars en me disant que je m’installerais bien par ici quelques temps… Le nomadisme serait-il vecteur d’indécision ?

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Malheureusement, la tendinite se réveille bien vite, et je n’ai plus mon antidouleur favori. Tant pis, ça va m’apprendre à prendre le temps ! Je fais donc Chambéry-Grenoble en deux jours, avec une nuit au bord de l’Isère. Le matin au réveil, je suis surpris par quelque chose de rarissime : un lever de soleil. C’est fou, j’avais presque oublié leur existence. Moi qui suis un fan incontournable des couchers de soleil, je suis bien moins habitué aux levers, qui se produisent toujours trop tôt. C’est pourquoi, réveillé mystérieusement aux aurores, je m’émerveille devant la pureté de l’air et la beauté des nuages teints en rose. La journée sera belle.

Arrivé à Grenoble, je retrouve Marine, Rohullah et Jen à la terrasse d’un café, avec leurs amies. Et tout ça me renvoie à nouveau loin en arrière. A mon premier hiver en Grèce, à un Nouvel An mémorable, à mon premier passage à City Plaza, à toutes ces aventures avec Marine et Anaïs, aux premières retrouvailles du retour en France. Les rires fusent, les souvenirs s’amassent, on prend des nouvelles. Jen est de passage en France, mais elle vit d’ordinaire en Guyane. Elle nous parle longuement de ce pays. Pays, car « Département d’Outre-Mer » ne convient pas à ce territoire si différent et si délaissé. Elle a les yeux qui brillent tellement quand elle en parle, que ça donne envie d’aller voir. C’est pas si loin après tout ; à peine un mois de bateau… Je me prends à rêver de nouveaux horizons lointains.

Mais soudain, c’est le lendemain matin, il est17h, et je dois partir. Je pédale jusqu’à la gare et je saute dans le train, et me voilà filant à toute allure loin de cette ville amie.

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Vaumargue et Cacluse

Décidant que mes genoux ont bien besoin de quelques jours de repos avant de repartir, j’ai pris le train pour me rendre à ma prochaine étape. J’arrive de nuit à Pernes les Fontaines, presque en même temps que Manon et Anna, qui sont venues de Paris pour profiter des vacances chez le père d’Anna, dans ce petit paradis au cœur du Vaucluse.

Anna et Manon, c’est des amies des scouts. On peut dire qu’on a fait les quatre-cents coups ensemble : multiples camps d’été comme ados, voyage solidaire à Madagascar, d’autres camps en tant que responsables, sans compter un nombre incalculable de soirées, week-ends, vacances en commun. Après de joyeuses retrouvailles et une bonne journée de repos, nous enfourchons nos trois montures et mettons le cap vers la Camargue ! A Avignon, nous regagnons la Via Rhôna, un itinéraire cyclable finalement peu fiable, mais qui a le mérite de nous mener jusqu’à Arles, et même un peu au-delà. Malgré les beaux paysages, la journée a été longue, les vélos ne sont pas tous très adaptés au voyage, et c’est avec soulagement que nous nous arrêtons, à la nuit tombée, dans une petite cache d’herbe entre un canal et la piste cyclable. Un beau feu, un bon repas et le bonheur d’être ensemble nous fait oublier nos peines.

Le lendemain matin, je me lève tôt en espérant trouver de l’eau, car nos réserves sont à sec. Je coupe à travers champs pour tenter de rejoindre une station service. Mais celle-ci est plus barricadée que la Zone 51 ! Grillages, portails à code, caméras, talus et haies infranchissables. C’est à se demander s’ils ne protègent pas autre chose que le privilège désolant de pouvoir accéder au luxe de l’autoroute. Ne m’avouant pas vaincu, je trouve un pont pour traverser la voie rapide. Les quelques fermes et maisons que je trouve sont toutes barricadées par de hauts portails et protégées par des chiens bruyants. Finalement, je tombe sur la grille ouverte d’un entrepôt de brasserie. Je rentre, aborde un premier type qui m’envoie balader, retente ma chance avec un vieux monsieur qui a l’air muet tellement il ne parle pas, mais finit par me tendre une bouteille d’un demi-litre d’eau aromatisée au citron. Je demande un robinet, lui montre ma bouteille vide, il ouvre enfin la bouche pour me dire qu’il n’y en a pas. Etrange, mais bon. Je repars, c’est déjà ça.

De toute façon, nous devons repasser à Arles pour traverser le pont et aller explorer la Camargue. Nous remontons donc en selle pour aller nous jeter dans le piège. Un piège, oui, car une fois arrivés en ville, nous serons incapables d’en repartir. Finalement, pourquoi pédaler si loin quand on peut visiter la ville, paresser au soleil, et manger une glace entre deux parties de cartes ? Il est déjà tard quand nous repartons finalement vers le Nord pour nous trouver un endroit où bivouaquer dans le massif des Alpilles.

Le lendemain ne nous fait pas regretter cette pause. Car sur le chemin du retour, le mistral se lève dans toute sa puissance. La longue montée qui nous barre la route à la mi-journée manque de nous déchirer les poumons et les jambes, et même la descente qui s’ensuit nous surprend à pédaler pour contrer les bourrasques qui nous freinent. Enfin, notre boucle se termine par un magnifique coucher de soleil qui encourage nos derniers coups de pédale jusqu’à Pernes. C’est le week-end, place au repos ! Le lendemain, arrivent Suzanne et Hortense, de la bande des scouts. Au programme : visite de la « Ville aux quarante fontaines » et son marché, parties endiablées d’Aventuriers du rail, The Mind, Code Names et autres jeux de société, apéros, fête d’anniversaire, musique et discussions de toutes sortes. Je repars regonflé à bloc.

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Bonnes et moins bonnes rencontres

Si un jour vous passez par le port de la Madrague, arrêtez-vous pour moi à la Crêperie du Hameau. Je suis entré pour demander de l’eau à la serveuse, et c’est au moment où je ressors que la patronne m’appelle : « Bonjour ! Vous êtes un voyageur ? Venez, vous voulez quoi comme crêpe ? Installez-vous, je vous l’offre. » Le temps d’un repas, je fais connaissance avec cette femme d’une générosité et d’un courage incroyable. D’origine algérienne, elle s’est installée ici avec son mari breton, dont le rêve était d’ouvrir une crêperie. Puis son mari est mort. Mais elle a tout fait pour garder le restaurant à flot, seule, malgré les difficultés et sa blessure à la jambe qui la fait boiter. Pendant qu’elle me raconte son histoire, une famille s’installe en terrasse. « Eux là-bas, me dit-elle, ils viennent de perdre leur fils. » Elle s’adresse à la serveuse : « tu leur offriras le dessert, d’accord ? », puis va s’assoir à leur table pour discuter. C’est indéniablement sur un havre de gentillesse que je suis tombé. J’en profite pour souffler un peu. Le trajet depuis Aix n’était pas de tout repos.

Aix-en-Provence est devenu une étape incontournable de tout passage dans le Sud. Arrivé après une belle journée de vélo, j’y ai retrouvé ma soeur Maïlys et mes amis Maxime et Marie-Anne, pour encore quelques jours de repos au soleil de Provence, avant de me lancer dans la dernière étape.

Ma délicieuse galette terminée, je remercie mon hôtesse et reprends la route jusqu’à la Calanque de Port d’Alon, où j’ai prévu de passer la nuit. Sauf que depuis ma dernière visite, des gens se sont installés dans la nouvelle maison du Conservatoire du Littoral ; des gens qui ne me laisseront sûrement pas bivouaquer ici. Il est tard, alors je m’engage sur le sentier littoral, mi-pédalant, mi-marchant en tirant mon vélo sur les cailloux, en espérant trouver un endroit un peu caché où passer la nuit. Après un petit kilomètre, je tombe sur un groupe d’habitations désertes, au milieu de la forêt. Ma carte indique des chemins pour retourner à la route, qui en réalité n’existent pas. Je suis un peu bloqué, et la nuit tombe. Un peu en dessous des habitations, se trouve un vieux bâtiment, une ancienne caserne abandonnée, avec un petit terrain plat à côté. Pas si mal ; je décide de m’arrêter là.

Quelle erreur…

Ça commence avec les trains qui passent, à intervalles réguliers, sur la ligne Marseille-Toulon qui se trouve en fait juste au bout du terrain. Puis, vers 22h, alors que je suis en train de lire dans la tente, un chien arrive et commence à m’aboyer dessus. Je me fige, attends un peu, mais il n’a pas l’air décidé à partir. Alors je sors avec ma lampe frontale, et lui cours après pour le faire fuir. Je l’entends aboyer de plus en plus loin, vers le Nord, puis vers l’Est. j’ai l’impression qu’il a rejoint la maison du conservatoire, et j’espère qu’ils ne vont pas débarquer à l’improviste. Je retourne lire, puis finis par m’endormir…

MERDE ! FAIT CHIER ! MEEEEERDE ! QU’EST-CE QU’IL CROIT PUTAIN ! AAAAAARRRRRGGHHH !

Je me réveille en sursaut. Il est là, sur le chemin à quelques dizaines de mètres de moi. Il hurle comme un fou furieux, des phrases incohérentes, des paroles de dément. Je reste figé, j’écoute. Je sais pas si il m’a vu, si c’est sur moi qu’il crie. La tente a des bandes réfléchissantes, impossible de la louper si on l’éclaire. Mais j’ai pas vu de lumière. Je l’entends qui marche sur le chemin. Il contourne la caserne pour rejoindre les habitations au-dessus. Je souffle un peu, mais… et s’il était parti chercher un fusil ? Je suis tout seul, au milieu de la forêt, en pleine nuit, personne ne sait que je suis là et il y a un taré imprévisible à côté. Un type normal en colère, à la limite, on peut discuter. Mais un fou, on ne sait jamais comment il va réagir. J’entends des portes s’ouvrir, claquer. Il entre et ressort, en marmonnant sans discontinuer. Il s’active un moment dans le jardin, puis le bruit s’arrête. Je retiens mon souffle et attends un peu. Je crois qu’il est rentré. Je me dis que si jamais il trouve la tente, il vaut mieux que je sois à l’extérieur, caché. Et puis j’aimerais bien voir ce qu’il se passe au lieu d’essayer de deviner à l’oreille. Le zip de la fermeture éclair fait autant de bruit qu’un avion qui décolle. Sortir me rassure un peu. La Lune haute éclaire assez pour que je puisse voir autour de moi. Je m’approche discrètement à la limite des habitations. Il y a de la lumière aux fenêtres, mais personne dehors. Par contre, il y a une voiture à l’entrée du chemin. Étrange. Elle n’était pas là quand j’ai exploré les lieux, et je ne l’ai pas entendue arriver. Je retourne près de ma tente. Faut-il que je parte ? Ou que je me déplace derrière ce buisson, à l’abri des regards ? Je regarde l’heure. 23h. Puis j’entends un PLOUF , et des rires, de la musique. Cette forêt est beaucoup trop fréquentée. Je m’approche du bord de la falaise. Il y a une lumière dans la calanque en contrebas, sur ce gros rocher qui ressemble à un sous-marin. A nouveau des voix, et des éclaboussures. On est en février, au milieu de la nuit, et des gens font la fête et sautent dans l’eau. Finalement convaincu que le fou furieux va se coucher sans ressortir, je finis par retourner sous la tente, et ne tarde pas à me rendormir. Le lendemain, levé tôt, je l’aperçois qui sort de chez lui au moment où j’enfourche mon vélo. Je file à toute allure sans me retourner.

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Mariage

Un moment de silence. Fabien se retourne : « Eh, J’AI DIT OUI ! ». Enfin, avec un peu de retard, tout le monde se lève et applaudit. Ils se sont dits Oui ! La cérémonie officielle se termine, on sort et on applaudit à nouveau Céline et Fabien qui sortent à leur tour. Je souris. Il s’en est passé des choses, depuis que Céline, Marine, Marie-Anne, Maxime et moi nous sommes connus au lycée ! On se sépare pour monter dans les voitures, et une heure plus tard, tout le monde se retrouve sur le lieu de la fête, une domaine magnifique au milieu de la campagne toulonnaise. Il y a assez à manger, boire, danser, jouer, discuter, rencontrer, pour célébrer nos amis jusqu’au milieu de la nuit. Si les voyages n’ont pas besoin d’un but en soi, je suis heureux que ce mariage m’ait donné une si parfaite excuse pour reprendre la route. Alors je profite aussi du moment pour fêter cette belle aventure.

Pourtant, à un moment, un décalage se fait sentir. Maxime et moi sommes sortis sur la terrasse faire une pause dans les festivités, quand, tour à tour, nous recevons des nouvelles du monde extérieur. « Tu as vu ? Erdogan a ouvert les frontières de la Turquie. Il y a des milliers de réfugiés qui tentent de passer en Europe ! » « Oui, et Macron vient d’utiliser le 49.3 pour la réforme des retraites. » « C’est pas vrai ! Oh et écoute : Adèle Haenel a quitté la cérémonie des Césars après la victoire de Polanski. » « Génial… et je viens de voir que le Coronavirus a encore plus nouveaux cas en France, puis qu’il est arrivé au Niger… »

Tout à coup, l’étrangeté de notre situation nous arrive en pleine face. Le monde semble se disloquer de toutes parts, et nous, on est tranquillement en train de fêter un mariage. Pourquoi on n’est pas dans la rue à crier, à courir, à se bouger pour un monde, sinon meilleur, au moins un peu plus beau ? Enfin… De toute façon pour le moment on ne peut rien faire. Alors je retourne danser. Pour la suite, on verra bien ce qu’il se passera.

J’ai soudain envie de rentrer vite à Paris. J’ai beau ne pas aimer les grandes villes, c’est là que beaucoup de choses se passent, et j’ai envie d’en être. Le lendemain de la fête, je prends un train pour Aubagne et pédale une dernière fois jusqu’à Pernes les Fontaines, où je vais laisser mon vélo. Le jour suivant, je fais du stop jusqu’à Avignon, et monte dans le bus du retour. Il est temps de clore ce beau chapitre pour ouvrir le suivant !