J’ai rencontré Carola et son compagnon cet été, alors que je tendais le pouce entre Aix et Toulouse pour me rendre en Espagne. Nous avions bien discuté et Carola, qui parle français et traduisait à son copain. Elle m’a laissé une adresse mail, en m’invitant à la contacter si jamais je passais à Torino.
C’est ce que j’ai fait une fois arrivé à Turin après un super trajet depuis Briançon, en compagnie d’un type génial. Il s’appelle Patrick, est le deuxième plus gros éleveur de brebis de la région, aime son métier et c’est tant mieux car ça ne paie plus rien, c’est même devenu absurde puisque la PAC le subventionne à 70%. Il a voyagé en Iran pour visiter son meilleur ami, et m’encourage vraiment à y aller, mais pas à Téhéran, c’est moche et pollué. Il conduit un gros pick-up, et n’a pas hésité à le prendre jusqu’en Roumanie pour aller chercher deux jeunes bergers roumains passionnés, forts et débrouillards, pas comme ces français qu’il employait avant, des pleurnicheurs qui ne savaient pas s’y prendre avec les bêtes, et se mettaient en arrêt maladie pour un rien, les lois sociales, 35 heures et tout ça, ça va pas pour les métiers traditionnels comme l’élevage, il faut que ce soit une passion, un investissement. Patrick s’est lié d’amitié avec ses deux Roumains, qu’il a l’air de considérer un peu comme les deux fils qu’il n’a jamais eu. Ils lui ont d’ailleurs appris des techniques ancestrales qu’il ne connaissait plus, et lui s’arrange pour bien les payer, peut-être même qu’il leur refilera l’élevage quand il sera trop vieux, qui sait, mais avant il faudrait qu’ils apprennent à s’occuper de tous les papiers administratifs dont ils se foutent pas mal pour l’instant. Voilà pour Patrick. Ah, si, il m’a aussi offert une glace vanille-chocolat, à peine passé la frontière. Un type génial, je vous dis.
J’ai donc contacté Carola en arrivant à Torino. Elle ne pouvait pas m’héberger, mais m’a invité à dîner chez eux le lendemain soir ; j’ai donc retardé un peu mon départ de cette ville. Et j’ai bien fait !
Me voici sur le Corso Trapani, en train de passer une porte haute et luxueuse. Un escalier, une deuxième porte, et je me trouve dans leur appartement, face à deux sourires chaleureux. Le temps de jeter un coup d’œil à ce très bel endroit, de faufiler Momo-la-carriole jusqu’au salon, et je me vois gentiment proposer de prendre une douche. C’est vrai que le bain forcé de ce matin n’a pas dû arranger mon odeur corporelle…
Et quel plaisir, cette douche ! J’ai l’impression de me délester de toute la crasse du monde. Je ressors de la salle de bains bien plus frais qu’avant, et découvre avec surprise qu’il y a bien plus de trois couverts sur la table. Je n’ai pas le temps de questionner mes hôtes, que déjà la sonnette retentit. Entrent une jeune italienne de leur âge et son copain, tous deux vêtus d’un haut jaune. Les présentations faites, Carola m’explique :
« J’ai décidé de faire des petites soirées à thème cette année. Et comme je fais mon master à Roma, aujourd’hui, on mange Roma. C’est pour ça qu’ils sont habillés jaune. »
Je n’ai encore pas le temps de lui demander si tous le habitants de Rome s’habillent en jaune, qu’un autre de leurs amis débarque. Nouvelles présentations. En me servant du vin, on m’explique le jeu du Buffalo :
« Tu écris avec la main gauche, ou droite ? Gauche ? D’accord, donc tu dois boire avec la droite. Si tu bois avec la gauche, on te dit Bufalo, et tu dois finir ton verre d’un coup. Mais tu dois pas faire exprès hein ! »
Je souris en m’installant à table, et pose ostensiblement mon verre à droite de l’assiette. Je goûte les sardines roulées aux olives, et me sers de charcuterie. Si je n’achète toujours pas de viande, j’ai décidé de mettre de côté mon végétarisme lorsqu’on m’invite, pour ne pas manquer de nouvelles découvertes culinaires. D’ailleurs, les sardines aux olives sont délicieuses !
La conversation va bon train. La plupart du temps c’est en italien, autant dire que je n’y comprends strictement rien. Mais quand ils veulent s’adresser à moi, ils me parlent soit en français pour les filles, qui savent à peu près le parler, soit en anglais pour les gars. Je discute pas mal avec l’un d’eux, qui a été en Iran et m’en dit lui aussi beaucoup de bien – sauf de Téhéran, c’est moche et pollué.
Le repas se poursuit. La compagne du deuxième invité arrive, et s’installe avec nous. La table est complète, pourtant un dernier visiteur débarque à l’improviste. Andrea est plus vieux que tous les autres, mais il affiche presque en permanence un sourire de jeunesse. C’est un voyageur lui aussi, et nous entamons de suite la conversation, en espagnol car il a longtemps vécu en Colombie.
Carola apporte les pâtes, des sortes de spaghettis mais en trois fois plus épais, assaisonnés de parmesan et de poivre. On enchaine avec un excellent plat d’épinards aux pignons de pain, on se ressert du vin, on blague et on discute dans un mélange d’Italien, de Français, d’Espagnol et d’Anglais. C’est absolument génial. Les enceintes diffusent de vieilles chansons de Rome.
Puis ils me demandent de sortir le ukulélé. On débarrasse les assiettes, on sort les digestifs. La liqueur d’arbouse s’accorde particulièrement bien avec la chanson Bella Ciao, que nous entonnons tous ensemble. On continue sur d’autres airs de toutes langues, jusqu’au moment où retentit un « Buffalo » vainqueur. Zut. Ça m’était sorti de la tête.
La soirée se poursuit. Je garde un coin de pensée posé sur le verre de mon ennemi, et ne tarde pas à accomplir une douce vengeance, sous les rires des autres convives.
Enfin, après un dernier Wish you were here et un Clandestino, les invités s’en vont. Je commence à refermer mon sac pour partir moi aussi, quand Carola m’aperçoit.
« Non, mais tu vas pas retourner dans un parc, tu peux dormir sur le canapé, il y a un peu de place ! »
Et puis c’est vrai qu’il est déjà 1h du mat’. Tout heureux, je sors donc mon duvet, et ne tarde pas à m’endormir… Décidément, ces italiens sont des gens géniaux !
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