Avant, pour moi, c’était LES réfugiés. Au pluriel. Comme un tas de personnes indissociables les unes des autres, une masse d’êtres humains dont je recevais des échos par la bouche de connaissances qui avaient été s’y frotter, à Calais, à Grande Synthe, à Vintimille. Moi je m’y intéressais de loin et j’avais l’arrogance de penser qu’on ne peut pas se préoccuper de tout, que je préférais agir pour des causes environnementales en laissant à d’autres les questions de luttes sociales, de féminisme, de réfugiés. Sans voir que tout était lié. Puis je suis parti en voyage, et tout ça a changé.

  J’ai rencontré mon premier réfugié lors de mon troisième jour hors de France. Arrivé de nuit dans une ville italienne, je me suis installé sous un préau à l’abri de la pluie, à côté d’un homme allongé. Nous nous sommes échangé quelques mots. Il venait du Pakistan. Il dormait sur un carton, enroulé dans sa veste. J’ai déroulé mon tapis de sol 4 saisons, puis je me suis enroulé dans mon vieux poncho. J’étais trop gêné pour sortir mon duvet.

  J’ai continué mon voyage. En Bosnie, j’ai rencontré des gens qui avaient encore la guerre aux portes de leur mémoire. En Albanie, j’ai retrouvé l’ambiance des pays qu’on dit « du Tiers Monde », pour ne pas avoir à dire « pauvres ». Des amis me faisaient remarquer que je suivais la route inverse des réfugiés. Puis, arrivé à Athènes, j’ai découvert City Plaza.

  Et tout à coup, ce n’était plus LES réfugiés. Ce n’était plus « Le pakistanais du préau ». C’était Mofak, Mahmoud, Imane, Rida, Rohoula, Alishba, Samir. C’était eux vus par mes yeux, moi vus par leurs yeux, nous vus par les yeux des autres. C’était nos cultures qui se mêlent, s’accordent, s’affrontent parfois, lors des tâches quotidiennes de cuisine, la sécurité, les activités pour les enfants, les réunions d’organisation.

  Après deux mois, je suis reparti voyager. En Turquie et en Iran, Anaïs et moi nous sommes immergés dans les cultures de ceux qui s’étaient immergés dans la nôtre. Alors, lorsque je suis retourné à City Plaza l’année suivante, je n’étais plus tout à fait le même. Je comprenais mieux, je crois, ces quatre cents personnes avec qui je partageais de nouveau mes journées. Pendant quatre mois, j’ai vécu, fait la fête, joué, ri, pleuré avec tous ces amis. J’ai discuté d’écologie avec Mahmoud, fait du compost avec Mofak, tenu une banderole pour les droits des femmes à côté d’Ariana, crié « open the borders » avec Alishba. Toutes les causes se rejoignaient, et nous étions devenus une seule grande famille.

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  Fin Juillet, Anaïs et moi avons participé au Rendez-Vous pour la paix, un festival organisé par le MRJC. Nous y avons mené un atelier pour présenter City Plaza. En plus de mon témoignage ci-dessus, voici les autres que nous avons lus pendant cet atelier :

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ARIAN

  « Il y a près d’un an, j’ai quitté mon pays et je suis arrivée en Europe. Quitter son foyer avec autant de rêves , cest dur ; mais je pensais encore : « je suis forte, et puis c’est la vie, si nous ne traversons pas les situations difficiles, nous n’obtiendrons jamais une vie facile ».

  Avant d’arriver à City Plaza, j’ai vécu avec ma famille chez un ami de mon père. Puis nous avons dû partir, et parce que nous n’avions pas de papiers, nous nous pouvions pas aller à l’hôtel. Alors nous sommes restés dans la rue, en passant nos jours et nos nuits sans aucune couverture ni rien d’autre pour nous tenir chaud.

  City Plaza est le meilleur hôtel de toute ma vie. Vivre ensemble nous apprend à être forts, à continuer de travailler dur, et montrer aux Européens que les réfugiés ne sont pas des gens faibles. Nous avons appris à vivre avec des gens d’autres nationalités, à créer l’unité parmi nous, à nous aider dans toutes les situations, à nous tenir tous main dans la main pour apporter une vie paisible.

  La solidarité vaincra ! »

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MAHMOUD

  « J’ai quitté l’Irak en 2015. J’avais 18 ans. J’ai travaillé et vécu en Turquie pendant 1 an puis je suis venu en Grèce. J’ai tout de suite essayé de rejoindre un autre pays européen, mais j’ai été attrapé 2 fois aux frontières. En Macédoine, les policiers m’ont volé mon téléphone et mon argent et m’ont aussi frappé. Alors j’ai décidé de rester à Athènes au moins pour un temps. J’ai d’abord payé l’hôtel avec mes économies puis un grec m’a gracieusement accueilli. J’ai commencé lentement à apprendre l’anglais. Puis j’ai découvert City Plaza, 8 mois après mon arrivée à Athènes.

  Dans ce lieu, j’ai rencontré beaucoup de personnes avec qui j’ai eu de bonnes relations. J’ai appris à communiquer avec les gens et mon anglais s’est amélioré rapidement. Les gens qui vivaient à City Plaza m’ont aidé à construire mon avenir : j’ai appris à écrire un CV avec un américain, je me suis inscris à l’université grâce à une amie espagnole, j’ai pris des responsabilités auprès des autres. J’ai appris aussi comment écouter les autres. Plaza m’a aidé à être plus ouvert et accepter tout le monde, de n’importe quel pays, religion, age ou sexe. Peu à peu j’ai pris de plus en plus de responsabilités par exemple en étant traducteur de l’arabe à l’anglais pour les personnes de City plaza, ou en étant le responsable de la communauté arabe de City plaza. Maintenant je coordonne un groupe de réfugiés de City Plaza qui gère et organise les tâches liées à la cuisine collective et la sécurité de City Plaza.

  Aujourd’hui je n’ai pas d’emploi, pas d’argent, je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais j’ai City plaza et sa communauté, sa famille qui me permet d’être actif et d’apprendre un peu plus chaque jour comment vivre tous ensemble. »

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ANAÏS

  (Extrait du blog d’Anaïs, écrit quelques jours après son arrivée à City Plaza)

  « Depuis quelques jours je rencontre des Syriens, des Iraniens, des Pakistanais, des Irakiens… ils me disent alors qu’ils vivent à Bagdad ou Alep. Je n’ose pas leur demander pourquoi ils sont partis de chez eux, pourquoi ils sont ici, comment ils ont fait pour venir, et ni dans quel pays ils veulent aller. De toutes manières, ils n’auront pas le choix, ils seront acceptés ou reboutés ici ou là. Mais en attendant ils sont à city plaza, en standby, partageant un quotidien avec 400 personnes. Un quotidien dans lequel ils ne peuvent pas travailler ou faire des plans sur l’avenir.

  A côté de cela, je vois des volontaires espagnols, américains, français, grecs, polonais, allemands, qui sont là pour donner un coup de main et qui vivent cela comme une incroyable expérience humaine, comme une belle réussite.

  Alors oui, ce lieu est une belle réussite de mixité, d’interculturalité, de solidarité, de fraternité. Mais il y a et il y aura toujours la différence entre volontaires et réfugiés : certains ont choisi d’être ici, d’autres non. Parce que certains sont nés du bon côté de la barrière, et les autres non. C’est ici que le mouvement NO BORDER (SANS FRONTIERES) prend tout son sens. »

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ALISHBA

  « Je m’appelle Alishba, j’ai 16 ans.

  Je suis partie du Pakistan avec toute ma famille : mes deux parents et mes frères et sœurs, Ali 21 ans, Hasnain 12 ans, et Rida qui a 10 ans. On est d’abord allés en Iran. Pour passer en Turquie, on a dû marcher dans les montagnes pendant 20h, sous la pluie, sans s’arrêter. En Turquie, nous avons pris un bus, puis un bateau pour la Grèce. Deux fois, le moteur s’est cassé, et deux fois, des gens sont venus le changer. Nous sommes finalement arrivés sur une île. On est restés deux jours dans un camp de réfugiés, puis des pakistanais nous ont aidé et nous ont acheté des tickets pour Athènes. On est restés 11 jours au camp d’Eliniko, avant d’aller à Eleonas, puis dans un hôtel à Omonia, grâce à l’aide d’une association. Quand nos papiers ont expiré, ils nous ont dit qu’on ne pouvait pas rester. On est allés voir une autre association, mais à nouveau on nous a dit de partir. Nous avons vécu au squatt de Notara pendant un mois. Puis on a voulu essayer d’aller en Allemagne. On est allés au Nord, à la frontière de la Macédoine. Il faisait très froid. Certains essayaient de sauter dans les camions qui passaient la frontière. Il faisait très froid. Des gens distribuaient à manger, mais il y avait une longue queue et quand on arrivait il n’y avait déjà plus rien. C’était trop dur, alors au bout de trois jours, on a décidé de retourner à Athènes. Mais Notara avait donné notre place à quelqu’un d’autre. Nous avons été hébergés par deux familles grecques. Ils nous ont trouvé une petite chambre, où nous sommes restés 15 jours. Mais c’était trop cher pour eux. Ils ont entendu parler de City Plaza, et nous ont proposé d’y aller.

  C’est un très bon endroit, différent des autres, mieux que tous les autres, en fait. Ici, on a plus de confort. C’était une bonne expérience de rencontrer autant de personne d’autant de pays différents. Au Pakistan, je ne vivais qu’avec des pakistanais.

  A City Plaza, j’allais aux classes d’anglais avec Jamie et Maitiu, des volontaires. Je vais aussi à l’école, c’est très bien. Je rencontre des grecs, je comprends qui ils sont ; maintenant nous avons des papiers grecs alors je dois comprendre les grecs.

  Je n’aime pas les manifestations. Mais c’est bien qu’ils fassent ça pour nous. Moi j’ai demandé à une autre association, pour travailler comme volontaire. Peut-être pour enseigner l’anglais ou les maths. J’espère qu’ils vont être d’accord.

  Maintenant il pleut et notre lit est tout mouillé. Il y a des fuites. C’est la première grosse pluie depuis longtemps. Hasnain et Rida prennent souvent mon portable est écrivent des bêtises sur Whatsapp. Je leur ai dit de ne pas faire ça, mais ils ne comprennent pas.

  Quand les gens ont dit que City Plaza allait fermer, je me suis sentie très triste. Parce que c’est comme ma maison. On ne sait pas où l’on va aller quand ça fermera, quelle maison, si ça va être loin d’ici. Ici nous vivons avec nos amis. Tout ça va beaucoup changer. »