TABRIZ, PREMIERES IMPRESSIONS

Sud de l’Arménie, 8 septembre 2017.

« J’ai besoin d’une pause. 5 minutes… ».

Je descends de vélo pour aller m’allonger à l’ombre d’un ancien tunnel, à droite de la route. Je ferme les yeux, le souffle court. Personne ne nous a pris en stop, ce matin. Alors comme la frontière n’est plus très loin, on a décidé d’y aller à vélo. Mais il fait chaud, et je me sens très faible. Ça fait trop longtemps que je ne digère plus rien.

Anaïs s’arrête aussi. Elle prend quelques photos du paysage merveilleux que je n’arrive même plus à apprécier. Elle attend que je me relève. Je ne sais pas ce que je ferais sans elle. Depuis l’insolation d’il y a trois jours – la goutte d’eau en moins qui a fait déborder le vase – , c’est elle qui fait du stop pendant que je reste allongé à l’ombre, c’est elle qui fait la conversation aux chauffeurs de camions pendant que je reste allongé sur la couchette arrière.

Alors que je me relève, une pensée me vient. Et si on me refuse à la frontière ? Pas sûr qu’ils laissent entrer les zombies, en Iran. Il faut que je fasse bonne figure. Un dernier effort ! Mon passeport enfin récupéré des mains du dernier douanier, la tête qui tourne, je me presse de poser le vélo et d’aller m’allonger sur les sièges de la salle d’attente. Le temps passe. Anaïs, partie chercher un moyen de transport pour Tabriz, finit par aborder une famille qui me jette des regards inquiets depuis plusieurs minutes. Ça y est, je suis sauvé.

La femme s’appelle Nasrin. Elle commence par m’enlever des mains le paquet de chips sur lequel je comptais pour m’apporter un peu de sel et faire remonter ma tension.

« Don’t eat chips ! Very bad. I am, Iranian mother ! »

Ah. Je ne sais pas quoi dire. Je n’avais pas vraiment prévu de me faire gronder.

Mais elle ne tarde pas à me mettre autre chose entre les mains : de l’ayran, une boisson au yaourt et au sel que j’avais déjà goûtée en Turquie. L’effet est étonnant. Après quelques gorgées, je me sens déjà un peu mieux.

Nasrin et son mari, Iraj, n’ont pas la place de nous prendre avec les vélos, mais ils nous invitent à rester chez eux à Tabriz dès le soir même. Après une longue virée en stop qui débute le long de la « Rivière du jardin d’Eden » et passe pour moi comme dans un rêve, nous sommes déposés devant leur maison par un père et sa fille qui n’ont pas hésité à pousser 80km plus loin pour nous. Nous resterons les dix jours suivants chez Iraj, Nasrin et leur fils Sina.

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Tabriz, du 8 au 18 septembre 2017

C’est auprès d’eux, à Tabriz, que nous aurons nos premières impressions de l’Iran. Ils sont Azaris, c’est-à-dire qu’ils parlent turc entre eux, bien que suivant globalement les règles et la culture iranienne. Ils nous accueillent d’une manière qui nous place entre membres de la famille et invités d’honneur. Ça commence par un repas succulent – qui sera suivi par bien d’autres – , puis une virée à l’hôpital pour des analyses. Et ça continue de plus belle : excursion au bazaar, soirée au centre commercial (pour les iraniens, ça équivaut à aller au musée), visite d’un village troglodyte, expédition à vélo jusqu’au parc Elgoli avec les cousins de Sina, et week-end festif dans le jardin merveilleux de la famille, en dehors de la ville. Anaïs se fait aussi inviter à un mariage iranien entre femmes (le mari, seul homme présent, arrive à la fin). Elle en revient avec encore plus de questions qu’avant.

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DE LA PLACE DES FEMMES EN IRAN

Des questions auxquelles répondront en particulier Nasrin et sa nièce Romina, avec qui nous avons beaucoup de conversations car elle parle bien anglais. Ce qu’elles nous apprennent seront précisées plus tard par les iraniennes et iraniens que nous rencontrerons. Dans leurs explications, nous percevons la cage légale mais surtout culturelle dans laquelle elles se trouvent enfermées. Toujours sous la responsabilité d’un homme, elles dépendent de leur père jusqu’au mariage, avant de passer sous l’autorité de leur mari. Le mariage entraîne d’ailleurs souvent un repli sur le cercle familial : la femme arrête les études qu’elle a commencées pour tenir le rôle qui lui est attribué : s’occuper des enfants, entretenir la maison, faire la cuisine, accueillir les invités. Tout ceci est d’ailleurs considéré comme un travail à part entière.

Le divorce met la femme dans une situation très difficile. D’abord, il lui est très compliqué de se remarier : les hommes iraniens veulent épouser une femme vierge ; un certificat médical le prouvant est d’ailleurs généralement exigé pendant le mariage. De plus, malgré une certaine garantie financière mise en place pendant le mariage, elle doit, si ce n’est pas déjà le cas, se mettre à travailler pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants à charge. C’est d’autant plus compliqué si c’est une femme qui n’a pas travaillé depuis le mariage, et n’a peut-être aucun diplôme. Enfin, elle est victime de l’isolement social, car le fait d’être divorcée est mal vu par la société.

Le jugement des autres joue un rôle important dans la place des femmes. C’est par exemple la raison pour laquelle Nasrin ne fait pas de vélo : si elle le fait, elle craint que les voisins ne se mettent à parler dans son dos. Comme Romina, les femmes plus jeunes ont moins de scrupules, et n’hésitent pas à prendre le vélo, qui devient même une forme de résistance. Dans les villes où c’est possible, bien entendu, car dans certains endroits conservateurs, ce seront les policiers eux-mêmes qui diront à une femme de descendre de vélo.

La police est également chargée de faire respecter le port du voile, rendu obligatoire par le gouvernement islamique. Cependant, la tenue vestimentaire varie beaucoup en fonction de l’âge, de la famille et de la ville. Dans les lieux les plus conservateurs, comme Yazd ou Amir Abad, la tenue traditionnelle est le « Chador », une grande pièce de tissu portée de manière à recouvrir la tête et tout le corps, maintenue serrée au niveau du menton. Les femmes le portent dans l’espace public, et se couvrent à l’intérieur dès que se présente un homme étranger au cercle familial rapproché. Ainsi, chez certains hôtes, sortir de ma chambre un matin pour aller au toilettes pourra provoquer des exclamations affolées des femmes, qui s’empresseront de remettre leur chador. Embarras assuré.
Dans des villes modernes comme Tabriz, Gorgan ou Shiraz, à l’inverse, beaucoup de jeunes femmes portent le hijab très à l’arrière de la tête, et le retirent dès que possible, à la maison ou dans un lieu un peu isolé entre amis. Simine, la cousine de Sina, nous a dit que chaque année les jeunes femmes portent le voile un centimètre plus en arrière. Selon elle, l’obligation aura disparu d’ici dix ans.
Entre les deux extrêmes décrits ici, l’on trouve bien sûr tous les intermédiaires. Ce qui rend les débuts de rencontres parfois incertains : pouvons-nous serrer la main, Anaïs aux hommes et moi aux femmes ? Anaïs peut-elle retirer son hijab ? Devons-nous dire que nous sommes mariés pour ne pas être mal vus ? Des questions auxquelles nous apprendrons peu à peu à répondre.

Pour terminer sur ce point, il est important d’apporter quelques nuances : il y a autant de situations différentes que de femmes en Iran ! Ainsi, les jeunes générations sont souvent plus libres, plus indifférentes (ou rebelles) à la vision traditionnelle de la femme. Quant à celles qui se trouvent dans le schéma traditionnel décrit plus haut, elles ont une certaine liberté dans leur travail à la maison que n’ont pas les hommes, qui travaillent toute la journée : pouvoir inviter des amies, organiser son temps de manière autonome, et se ménager du temps libre pour aller, par exemple, à l’institut d’anglais ; ainsi, de nombreuses femmes ont pu communiquer avec nous quand les hommes autour étaient gênés par la barrière de la langue.

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PISTACHES & PEINTURE

Les pistaches, c’est comme les noix de coco. On croit que ça pousse comme ça, tout sec, sur les arbres, mais c’est faux. Tout comme ces merveilleux fruits tropicaux dont la seule évocation provoque une envie irrésistible de palmiers, hamacs et pirogues à balancier, les pistaches sont entourées d’une couche vert-marron à la texture d’écorce, qu’il convient d’enlever pour accéder à la coquille beige que nous connaissons bien. En fait, l’obtention d’une graine propre, grillée et salée passe par tout un tas d’étapes, que nous découvrons avec l’incroyable Mehdi, dans les immenses jardins nourriciers situés tout autour de Qazvin. Explication en vidéo :

 Mehdi est un ami d’Iraj. Ils font partie d’un réseau de voyageurs iraniens en fourgon aménagé. Il vit à Qazvin avec sa tante et sa soeur, cultive des pistaches en été et est informaticien le reste du temps, voyage quand il peut, parfois même à vélo. Parle très peu anglais mais sourit assez pour compenser. C’est une personne en or, toujours prêt à nous trouver des hôtes dans les grandes villes quand nous le lui demandions. Pendant notre passage, trop court, à Qazvin, il nous a emmène des jardins périurbains jusqu’au coeur du grand caravanserail, où une surprise nous attend. C’est une résidence d’artistes hébergée par un de ses amis, peintre de renom. Dans les couloirs anciens encerclant la cour, il y expose ses tableaux. Cette fois-ci, c’est sur le thème de Dieu – Allah – qu’il souhaite porter notre regard, à travers des oeuvres mêlant calligraphie et peinture. Loin d’en faire la louange, il en fait le tour de tous ses aspects, comme nous pouvons le voir sur ce magnifique tableau :

L’artiste a ici souhaité montrer que le nom d’Allah (calligraphié en blanc) était parfois utilisé pour tenir les gens enfermés dans le noir, l’ignorance, la douleur. Il reste toutefois un espoir, puisqu’on peut apercevoir, cachés parmi les fleurs, quelques oiseaux qui se sont libérés de leur cage, mais restent quand même dans la lumière de Dieu. Voici ce qu’on nous a expliqué. Et si l’oeuvre nous a semblé pointer du doigt le contexte iranien, comme nous le verrons plus loin, il n’en est pas moins universel, puisque ce genre d’extrêmisme religieux apparaît partout dans le monde, à toutes les époques. Je me permets donc de finir ce chapitre par ceci : « Si l’humain fait la religion autant que la religion fait l’humain… alors c’est l’humain qui fait l’humain ». Oui, l’Art pousse à la réflexion !

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DE QAZVIN A AMIR ABAD

Amir Abad, 31 septembre 2017

Je m’apprête à retourner dans ma chambre quand le père s’adresse à moi. Il commence par me baragouiner quelque chose que je ne comprends évidemment pas, avant de me faire signe de venir avec lui à l’extérieur. Aïe. J’avais plutôt prévu de retourner me coucher… Mais j’accepte. J’ai fini par comprendre qu’ils ne restaient à chaque fois que parce qu’ils ne voulaient pas me laisser seul dans leur maison.

Je suis arrivé à Amir Abad avant-hier, après une semaine passée de Qazvin à la ville de Gorgan, dans la région du Golestan au Nord-Est du pays. La maladie et la faiblesse m’ont repris, et je n’ai pu profiter qu’à moitié des rencontres que nous avons faites.

D’abord, une soirée avec cinq jeunes iraniennes ayant loué une maison pour le week-end dans la station balnéaire de Ramsar. Nous avons commencé à y entrevoir le besoin des iraniens d’être en groupe, qui passe bien avant le besoin de faire quelque chose : ainsi, nos amies n’étaient pas gênées de rester pendant des heures assises face à la mer à boire du thé en papotant. C’est une activité, peu commune en France, que nous retrouverons pendant tout notre voyage.

Ensuite, l’accueil spontané de Mary, jeune mariée de vingt-deux ans, dans sa toute nouvelle maison. Un moment intriguant, puisque nous étions ses premiers invités, étrangers de surcroît. Nous avouant dès le début qu’elle était stressée, elle a fini par se détendre, sans toutefois abandonner l’idée de tout faire à la perfection ! Comme de nombreuses jeunes femmes, Mary (de son vrai nom Maryam) allait à l’institut d’anglais et le parlait donc très bien, contrairement à son mari qui n’a pas lâché un mot de la soirée. Cette petite incursion dans la nouvelle vie d’un jeune couple traditionnel nous a permis d’apprendre certaines choses.

D’abord, qu’un mariage coûte très cher, puisque tout ce qui compose le nouveau foyer doit être neuf ; rien n’est récupéré de la famille. La famille de la femme se charge de l’achat de tout le mobilier : meubles, objets, électroménager. Le mari doit apporter la propriété en elle-même, ainsi qu’une somme d’argent conséquente. C’est en partie pour cette raison que les hommes sont souvent dix ans plus âgés que leurs épouses, comme c’est le cas avec Mary : un jeune étudiant de 22 ans, même soutenu par sa famille, ne peut généralement pas fournir une telle somme.
Au niveau de l’aménagement intérieur, force est de constater que les iraniens aiment vivre par terre, sur les tapis qui recouvrent la totalité du sol ; c’est pourquoi il faut impérativement enlever ses chaussures à l’entrée. Chez mary, pas de grande table à manger, seulement de petites tables basses pour manger des fruits sur le canapé entre les repas. Lesdits repas se font sur une nappe posée par terre au milieu du salon. Et la maison de Mary n’était pas la plus traditionnelle ! Chez certains, pas de canapé, ni de lit : des pièces vides avec des coussins posés contres les murs pour se détendre, et des matelas fins bourrés de laine que l’on déplie pour dormir, si ce n’est pas directement sur le tapis.

Le lendemain, Mary nous a emmenés en voiture à la plage. L’occasion de faire une petite séance photo devant la Mer Caspienne, comme les aiment les iraniens :

Puis, après encore une journée de stop, nous sommes arrivés à Gorgan. Là, Mehdi nous a tout arrangé : une hôtesse pour notre séjour et un rendez-vous le soir même avec un médecin spécialiste, car je vais de nouveau très mal. C’est Shadi qui est venue nous chercher pour nous emmener dans l’appartement où elle vit avec sa mère. Après un peu de repos, nous sommes allés à pieds au cabinet médical où nous avons retrouvé Salar, un étudiant en médecine qui a appris le français en quelques mois à peine. C’est donc très bien entouré que je suis entré chez le médecin, un spécialiste du stystème digestif parlant anglais ; il m’a prescrit des analyses poussées pour savoir ce qu’il m’arrivait depuis si longtemps. Quelques jours plus tard, les résultats sont tombés : tout va bien ! Juste l’infection bactérienne soignée à Tabriz, qui a assez affaibli le système immunitaire pour laisser entrer un petit virus qui finira par passer tout seul.

Pendant ces quelques jours d’attente à Gorgan, nous avons eu le temps de devenir amis avec Shadi et surtout Salar, qui partage avec nous une manière de pensée assez européenne. C’est également une ville très agréable, avec un mélange etnique qui la rend peu traditionnelle : des Farsis, mais aussi beaucoup de Turkmènes, de Baloutches, d’Arméniens. Elle est entourée d’une grande forêt ressemblant à celle de Rambouillet, près de chez moi… un endroit incontournable pour aller prendre le thé avec nos nouveaux amis !

Puis il fut temps de nous séparer. Pendant quatre jours, Anaïs est partie en excursion de groupe dans la nature du Golestan, avec Shadi et son copain. Quant-à moi, je suis parti me reposer chez un nouvel hôte à Ali Abad, une petite ville de campagne à 40km de Gorgan. C’est dans cette commune très (mais alors très très très) traditionnelle, que vivent les parents de Mustafa.

Je sors, donc, à la suite de son père. Nous marchons à pas rapides vers le boulevard principal, où résonnent les battements incessants des tambours. Une fois arrivés face à la foule qui défile tout en noir, je me fais offrir une de ces soupes infâmes qu’ils appellent « Ash », globalement composée de crème liquide et de farine en grumeaux. Je l’avale rapidement en me retenant de vomir, et me dis que ça me prépare pour le jour où je serai forcé de manger de la cervelle. Puis le père s’avance vers la foule, se retourne, et me fait signe de venir participer à la procession.

Non.

Il répète son geste, plus insistant.

Non. Je suis catégorique.    Je – n’irai – pas.

Pas plus que les trois derniers jours où vous avez insisté pour que je vienne. Vous avez touché ma limite.

Muharram commence sérieusement à me sortir par les trous de nez.

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REPUBLIQUE ISLAMIQUE D’IRAN

Ou comment résumer grossièrement 1396 ans d’histoire et une politique complexe en 7 paragraphes.

Muharram, c’est à la fois le premier mois du calendrier musulman, et une cérémonie religieuse très importante, en particulier chez les Chiites, dont l’Iran est le principal représentant. Le Chiisme est la branche minoritaire de l’Islam. Contrairement aux Sunnites qui soutiennent que la succession du prophète Mahomet est assurée par des Califes désignés par le peuple, les Chiites pensent que c’est aux Imams, descendants légitimes du Prophète, que revient cette succession.

Il y a au total douze Imams. Le premier Imam est Ali, cousin et gendre de Mahomet, qui d’après les Chiites l’a désigné pour devenir le chef spirituel de l’Islam après lui ; les Sunnites, eux, ne voient en Ali que le 4ème Calife. Ses successeurs apparaissent parmi ses descendants, jusqu’au 12ème Imam, qui est encore en vie et se cache aux yeux du monde entier, en attendant que l’humanité soit capable de recevoir son message sans tenter de le tuer directement après.

Le troisième Imam est certainement le plus important pour les Chiites. Il s’agit de Hussein, deuxième fils d’Ali, massacré avec sa famille lors de la bataille de Kerbala, qui marque la victoire historique des Califes Sunnites sur les descendants du Prophète. La mort en martyr de cet homme est comémorée pendant les dix premiers jours du mois de Muharram, une sorte de carnaval austère pendant lequel les hommes habillés en noir défilent dans les rues au rythme des tambours, en se frappant soit le torse avec les mains, soit le dos avec un bâton spécial pourvu de chaînes à son extrêmité.

Cette cérémonie s’accompagne de prières, de privations telle que l’interdiction d’écouter ou jouer de la musique, mais aussi de nourriture gratuite pour tout le monde, distribuée dans la rue (les fameuses « Ash ») et dans les mosquées (le traditionnel riz blanc – riz au safran – baies de gogi – poulet). Et à la télé, l’Imam Khamenei se fait plus présent que jamais.

Imam Khamenei et son prédécesseur Imam Khomeini, leaders religieux de l’Iran, Shiraz

Imam Khamenei n’est pas l’un des douze Imams, ce mot étant aussi utilisé dans un sens plus large. C’est le chef religieux de l’Iran, successeur de l’Imam Khomeini qui fut le guide de la révolution islamique de 1979. Autant dire qu’il règne en maître, aux côtés (voire au-dessus) du président Rohani qui est comme lui un Ayatollah, un membre haut placé du clergé Chiite. Au-delà des lois islamiques sur l’obligation du voile, par exemple, Khamenei est surtout très présent à la télé, où il pratique le lavage de cerveau intensif de milliers d’Iraniens, leur disant quoi faire au quotidien pour être un bon musulman, de la mosquée à la chambre à coucher. Son portrait apparaît absolument partout, ce qui n’est pas sans rappeler d’autres cultes de la personnalité de par le monde.

Malgré de nombreux désapprobateurs (souvent silencieux) parmi le peuple, des ethnies et langues multiples (Perses, Azaris, Kurdes, Baloutches, Turkmènes, Lors, Arméniens et j’en passe), et des nombreuses minorités religieuses (Zoroastrisme, Islam Sunnite, Christianisme, Judaïsme), la loi Islamique gouverne le pays. Ses manifestations les plus extrêmes concernent les homosexuels et ceux qui abandonnent l’Islam : la peine reçue est la mort.

Mais on ne peut se limiter à parler d’un pouvoir central qui manipule les foules et bafoue les droits de l’homme. Encore une fois, il faut apporter des nuances : la vision l’Islam par les Iraniens s’étale sur toute une palette allant des familles traditionnelles qui suivent à la lettre les instructions de leur chef suprême, à ceux pour qui la religion est plus une foi qu’une pratique… voire même plus une culture qu’une foi. Et, comme nous l’avions dit à propos de la Turquie, les plus traditionnels ne sont pas moins bienveillants que les autres !

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ESFAHAN, VILLE DES CHANGEMENTS

 

PARTIE 1 : CHANGEMENT DE VISA

04 octobre 2017

Nous arrivons à Esfahan tôt le matin, après deux nuits consécutives passées dans les trains couchettes iraniens. Mais pas le temps de nous reposer ! Une courte négociation nous permet de faire garder nos vélos par un gardien de parking de la gare, et de prendre un taxi vers le centre ville, direction… le « Police Office of Foreign Aliens ». Pour ceux qui ne parlent pas anglais, ça veut dire « La-maison-de-fous-comme-dans-les-douze-travaux-d’Astérix ». Pour ceux qui n’ont pas lu les douze travaux d’Astérix, laissez tomber.

Après un premier sas de décompression où nous devons laisser nos téléphones portables, nous montons quelques marches jusqu’à une salle ressemblant à moitié à un bureau de poste, et à moitié aux grands bureaux super animés des séries policières américaines. On nous a dit d’aller au numéro 14, mais c’est un gars du numéro 19 qui nous aborde. Sa réponse ne se fait pas attendre : « Non, c’est impossible ».

« Mais… si vous nous refusez il va falloir qu’on parte, et nous n’avons pas eu le temps de visiter Esfahan, Yazd, Shiraz… on ne veut pas manquer ça, il paraît que c’est magnifique ! Et puis dans trois jours on sera à Shiraz, qu’est-ce qu’il se passe si on nous refuse là-bas aussi ?! Il nous restera moins de vingt-quatre heures pour rejoindre la frontière turque ! » Oui, c’est normal. Il paraît qu’il faut baratiner. On lit même sur les forums qu’il ne faut pas hésiter à pleurer un coup si nécessaire.

L’homme nous tend deux formulaires roses. Et trois heures plus tard, après deux autres bureaux, un allez-retour à la banque pour payer, un passage chez le photographe, trois autres bureaux et une demi-heure d’attente, nous ressortons avec deux prolongations de visa dans nos passeports. Nous avons encore un mois à passer en Iran !

PARTIE 2 : CHANGEMENT DE VISAGE

Bon, celle-là c’était essentiellement pour le jeu de mots. Disons simplement que je reprends lentement des forces, et des joues.

PARTIE 3 : CHANGEMENT DE VOYAGE

Même si depuis longtemps nous avons plus trimballé nos vélos que nous ne les avons enfourchés, Paulette et Επομενη Σταθη ont toujours fait partie du voyage… jusqu’à aujourd’hui. La dure décision a été prise rapidement, et ce que nous envisagieons depuis près d’un mois devient soudain une réalité.

Ali est un cycliste professionnel et voyageur passionné que nous avons rencontré entre deux trains, pendant notre halte d’une journée à Téhéran. Il a proposé de racheter mon vélo, et de donner celui d’Anaïs à son voisin afghan, qui en aurait besoin. Comme c’était compliqué logistiquement et temporellement de faire l’échange directement à Téhéran, il a décidé de venir les chercher en voiture à Esfahan. Nous le retrouvons donc chez nos hôtes, Majid, Zahra et Hamed, des amis de Iraj. Et après un dernier thé à discuter voyage, un dernier câlin aux vélos et la traditionnelle séance photos, les voilà partis.

Nous allons donc continuer notre voyage en stop, avec nos sacs à dos. Un changement de rythme qui comporte des avantages et des inconvénients, mais que nous ne regrettons pas. Cela nous force aussi à nous alléger : une partie du matériel est donnée ou jetée, une autre laissée dans les sacoches qui seront envoyés chez Iraj à Tabriz en attendant de retourner en France, et le reste vient avec nous.

PARTIE 4 : CHANGEMENT CLIMATIQUE

Majid, sa femme Zahra et son frère Hamed nous emmènent visiter la grande place carrée d’Esfahan, déguster des glaces au safran, visiter un énième bazaar, pique-niquer sur la coline, manger le traditionnel kebab de poulet cuit au barbecue sur le roof-top, et nous font découvrir les danses perse, azari et arabe.

Hamed n’est pas souvent là car il est très pris par son service militaire. En Iran, c’est évidemment obligatoire, ça dure deux ans, et ça vous donne droit à un passeport à la fin. Heureusement, notre ami a un peu de temps libre qu’il peut nous consacrer, et comme il parle bien anglais, il répond à toutes nos questions, telles que : « Hamed, pourquoi la rivière d’Esfahan elle est toute sèche ? » Et là, nous touchons du doigt l’un des principaux problèmes environnementaux de l’Iran. Un problème si important que lorsque nous demanderons, plus tard, à en savoir plus, un universitaire nous dira que nous ne pouvons accéder qu’au blabla des sites internet officiels ; les vrais documents sont classés top secret.

Qu’on soit bien clairs, le changement climatique global est loin d’être la principale cause de l’assèchement de la rivière d’Esfahan. C’est plus l’assèchement de la rivière qui est la cause d’un changement de climat au niveau local. La rivière d’Esfahan ne coule plus que pendant deux ou trois mois au printemps, bien loin du flot abondant et continu d’il y a une quinzaine d’années. Le coupable ? L’agriculture intensive, encore, soutenue par l’industrie et la consommation humaine. Un cercle vicieux s’est installé : plus on utilise d’eau pour cultiver des espèces inadaptées au milieu désertique, plus le milieu devient désertique, plus on doit utiliser d’eau… etc. Et les réserves des nappes phréatiques situées dans la région Esfahan, utilisées également pour alimenter la ville de Yazd, sont presque épuisées. Que se passera-t-il alors ? Hamed nous dit que le gouvernement envisage de désaliniser de l’eau de mer acheminée depuis le golfe persique. Un procédé très énergivore… mais l’Iran possède d’abondantes réserves de pétrole, alors où est le problème ?

 

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Emmêler l’histoire pour démêler l’Histoire.

Immersion temporelle à Meybod, Yazd, Shiraz

Le temps n’est qu’une dimension spatiale comme les autres. Et si l’humain a décidé de le nommer autrement, c’est simplement parce qu’il est frustré de ne pas pouvoir s’y déplacer librement. En fait, le temps, c’est un peu comme un train. Un train qui avance sans cesse, imperturbable, prenant et déposant des passagers à la volée, et dont personne n’a jamais réussi à accéder à la locomotive. Ça, c’est pour le monde à l’extérieur. Mais l’avantage ici, c’est que l’homme dans la locomotive, c’est moi.

Alors ce chapitre ne sera pas écrit dans l’ordre chronologique de nos petits vagabondages de hobbits, mais bien dans l’ordre Chronologique avec un grand C. Car c’est bien de l’Histoire dont je veux vous parler.

Avant de commencer, précisons que la plupart des informations ici ont été tirées de Wikipédia. Si le sujet vous intéresse et que vous voulez creuser la question, vous êtes donc invités à aller farfouiller abondemment, en commençant par ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Iran#Histoire

Nous allons sauter la Préhistoire et les premières civilisations (Jiroft, les Elamites, les Mèdes), dont nous n’avons pas vraiment entendu parler, pour aller directement nous intéresser aux Achéménides, qui fondent le premier empire Perse. Du sixième au quatrième siècle avant Jésus-Christ, ils règnent en maîtres sur la plus grande partie du Moyen-Orient. Nous en voyons les premières traces réelles à Hamedan avec les textes gravés dans la roche par Darius Ier et Xerxès Ier, puis à Persépolis, l’un des sites archéologiques les plus importants du pays. Construit par le roi Darius Ier et ses successeurs, ce lieu de culte qui porte d’inombrables gravures et sculptures illustre bien la grandeur de cet Empire Perse, tant du point de vue religieux que du point de vue géopolitique. Ce qui frappe, c’est de savoir que ce site impressionnant a été construit sans recours à l’esclavage, conformément à l’éthique Zoroastre et contrairement à beaucoup d’autres sites antiques, comme l’Acropole à Athènes ou les pyramides égyptiennes.

Nous ne pouvons évidemment pas parler d’Empire Perse ni d’Iran, sans parler de Zoroastrisme. Cette religion, fondée par le mythique Zarathoustra, oriente le vieux Mazdéisme vers un monothéisme animiste, qui met au centre le dieu Ahûra Mazda entouré d’entités mineures liées aux éléments. Le Zoroastrisme est la religion qui domine en Perse jusqu’à la conquête musulmane. Nous l’avons tout particulièrement découvert à Yazd, où se trouve une grande partie des Zoroastres de l’Iran actuel, ainsi qu’un site religieux très particulier.

Les Tours du Silence sont les lieux où les Zoroastres déposent traditionnellement leurs morts (bien que cette pratique soit interdite en Iran depuis plusieurs décennies). Leur religion sacralise le feu (dans chaque temple, comme celui que nous avons entraperçu à Yazd, un feu est entretenu éternellement), il est donc impossible de contaminer cet élément divin avec un cadavre qui porte en lui le mal de la mort (précisons que c’est une religion très manichéenne). Il est également impossible de contaminer la terre dans laquelle pousse notre nourriture. Ne reste plus qu’une solution : étaler les corps dans les tours du silence, structures circulaires ouvertes au quatre vents au sommet d’une colline, pour qu’ils soient séchés par le soleil et dévorés par les oiseaux.

Au-delà de cette pratique qui peut en choquer certains (mais n’est pour moi pas pire que de se faire manger par des vers), et d’autres aspects que je ne développerai pas ici, le Zoroastrisme repose sur un ensemble de valeurs, qui m’ont paru intéressantes à partager car certaines se distinguent fortement de celles des autres religions :

  • L’égalité homme-femme.
  • Le caractère sacré de l’eau, la terre, l’air et surtout le feu, qui a besoin des concours divin et humain pour exister.

  • L’interdiction de l’esclavage et de l’oppression, et la nécessité de se soulever pour les contrer.

  • L’importance de la récolte et du travail personnel pour subvenir à ses besoins.

  • La non-sacralisation des lieux (surtout les lieux de culte).

  • L’interdiction du sacrifice animal.

  • L’importance de choisir, parmi les deux côtés, bien et mal, qui composent chaque être humain… de choisir le bien évidemment. Je vous avais dit que c’était très manichéen !

Cette éthique, nous en voyons une trace dans l’histoire du Cylindre de Cyrus. Sur cet objet retrouvé dans sur le site de Babylone en Iraq actuel, est gravé un texte en akkadien cunéiforme qui, en plus de souligner la toute puissance divine du roi Cyrus II, grand libérateur de Babylone, raconte comment ce dernier est entré dans la cité avec des valeurs de paix et proclame la liberté de culte dans tout l’Empire Perse.

Encore une fois, allez sur Wikipédia ! Je signale que l’article sur le Zoroastrisme est non-conforme aux critères de l’encyclopédie en ligne. Il reste intéressant, mais à prendre avec du recul. Celui sur le Cylindre de Cyrus vous apportera également des précisions utiles.

Mais poursuivons l’Histoire. En 330 av. JC., Alexandre le Grand vainc le roi Darius III et conquiert la Perse. Il y établit la dynastie des Séleucides, qui laisse la place à l’empire Parthe puis au deuxième empire Perse, les Sassanides, qui règneront pendant plus de quatre siècles. C’est un véritable âge d’or sur tous les plans : un système socio-politique complexe et une administration forte pour tenir un territoire très étendu, un Zoroastrisme officialisé, fermé et poussé à l’extrême, un commerce florissant avec le contrôle de la route de la soie entre l’Europe, l’Empire Byzantin et la Chine, une production artistique riche et abondante, influencée par les empires voisins, et les influençant en retour.

Et ça dure jusqu’en 651 après J.C., lorsque les musulmans conquièrent la Perse. S’ensuit une interminable succession de dynasties dont je n’ai pas retenu les noms, entrecoupée d’invasions mongoles, et rythmée par les luttes de pouvoir et débats religieux qui conduisent la Perse à se tourner vers le Chiisme. Le pays connaît néanmoins des périodes prospères, marquées par une richesse architecturale et technique que nous avons pu observer tout au long de notre voyage.

Ainsi, les villes de Meybod et Yazd montrent une ingéniosité merveilleuse dans la manière de faire face aux rigueurs du désert : les bâtiments tout en terre abrîtent des rues étroites et parfois couvertes qui ménagent un maximum d’ombre pendant la journée, les mystérieuses « tours du vent », véritables systèmes de climatisation sans électricité, sont dispersées un peu partout, et des qanats dévoilent leurs escaliers qui s’enfoncent dans les entrailles de la Terre jusqu’aux précieuses réserves d’eau souterraines. Mais la tructure la plus incroyable que nous avons pu voir est certainement celle des « Maisons de glace », véritable génie architectural en forme de dôme, dont l’architecture est pensée dans les moindres détails pour conserver pendant toute l’année la glace, fabriquée en hiver dans de grands bassins carrés. Ce savoir faire incroyable, sans autre source d’énergie que les éléments naturels, est certainement l’une des choses qui m’ont le plus impressionné en Iran.

Autre signe de la prospérité de cette époque : les bazaars et caravansérails, immenses, que nous avons pu explorer à loisir dans presque toutes les grandes villes. La situation avantageuse de la Perse, au milieu de la Route de la Soie, conduisait chaque cité à se munir d’un lieu pour accueillir les caravanes de dromadaires et le commerce florissant qui les accompagnait. C’est ainsi que sont apparues ces édifices immenses aux allées couvertes richement décorées, dans lesquels il est facile de se perdre pour un voyageur non averti !

Mais qui dit richesse dit… convoitise, conflit, guerre. Les habitants ont donc dû imaginer des moyens pour protéger ces richesses. Ainsi, le château en terre que nous avons visité près de Yazd était destiné à protéger les récoltes en cas d’invasion. Fortifié, construit sur quatre étages, c’est un véritable labyrinthe de couloirs sur lesquels s’ouvrent des loges pour stocker les réserves, et des habitations pour leurs protecteurs. L’occasion d’une superbe visite en compagnie de Mehran, le fils de notre hôte Bijan, et de sa compagne Shakiba.

Enfin, il est impossible de parler de l’histoire de la période islamique sans parler de… mosquées ! Et nous en avons vues, des mosquées ! Celles de Tabriz et de Qazvin nous ont impressionnés, celle de Yazd, avec son centre acoustique sous la voûte principale, nous a émerveillés. Mais la plus belle d’entre toutes reste la mosquée rose de Shiraz, avec ses vitraux filtrant la lumière, ses riches décorations aux couleurs inhabituelles, et sa guide inattendue, simplement heureuse d’éclaircir les mystères de l’Islam Chiite aux visiteurs.

Nous n’avons vu que peu de choses de l’époque suivante, je vais donc passer rapidement dessus. L’Iran se modernise, mais est toujours pris dans des luttes de pouvoir. A la fin du XIXème siècle, profitant d’un gouvernement faible et corrompu, les puissances Britannique et Russe s’imiscent peu à peu dans les affaires du pays. La révolution de 1906 voit l’Iran se doter d’une constitution, et à la fin de la Première Guerre Mondiale, Reza Khan, arrivé au pouvoir suite à un coup d’état, modernise le pays et prend des mesures drastiques, parmi lesquelles l’interdiction pour les femmes de porter le voile et l’obligation d’un habit occidental pour les hommes. Une situation étonnante du point de vue actuel…

En 1943, suite à l’invasion Britannique et Soviétique, l’Iran déclare la guerre à l’Allemagne. Sa situation le place ensuite au centre de la Guerre Froide, avec la « crise irano-soviétique ». Les britanniques, qui contrôlent encore la politique du pays, forcent l’Iran à se placer du côté des Américains. Ces derniers soutiennent le nouveau roi, de son joli nom Mohammad Reza Shah Pahlavi, et la dictature qu’il met en place. L’iran s’occidentalise et se modernise à toute vitesse, entrant dans une période de prospérité. Et c’est là que nous rejoignons le contexte actuel. Car la révolution qui s’ensuit est encore bien présente dans les mémoires. Et chez beaucoup de personnes que nous avons rencontrées, elle est vue plus comme une chute que comme une avancée.

Commencée au milieu des années 60, elle voit plusieurs factions exprimer leur opposition au régime autoritaire. Nous, on nous parle surtout des communistes et des groupes religieux. Parmi ces derniers, le jeune Rouhollah Khomeini fait figure d’autorité. Et c’est lui qui, après des années de lutte, déclare la libération de l’Iran en 1979. Dirigeant les « Gardiens de la Révolution » et écartant les autres figures révolutionnaires, il reprend peu à peu le contrôle du pays et se proclame Guide Suprême de la nouvelle République Islamique.

Mais la crise n’est pas terminée : à peine le nouveau régime instauré, une prise d’ôtage à l’ambassade des Etats-Unis romp les relations diplomatiques entre les deux pays. Les premières sanctions économiques aparaissent, et moins d’un an plus tard, l’Iraq de Sadam Hussein, soutenu par son allié Américain, envahit l’Iran. L’enjeu ? Le pétrole, évidemment.

Dix ans après, à la fin de la guerre, l’ancien président Ali Khamenei accède au titre de Guide Suprême et succède ainsi au défunt Khomeini dans un pays dévasté humainement et économiquement. Il se tient depuis aux côtés des présidents successifs, qui, incapables de relever le pays, font face à d’importantes protestations. La plus importante, en 2009 face au président ultra-conservateur Ahmedinejad, est violemment réprimée.

Le président actuel est élu pour la première fois en 2013. Rohani est un religieux modéré qui renégocie les sanctions sur le nucléaire appliquées par les pays occidentaux, et assouplit un peu le régime. Mais la réalité que nous avons vue en Iran montre qu’il y a encore du progrès à faire en ce sens !

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PETIT TRAITÉ DE GASTRONOMIE IRANIENNE

Bushehr, 17 octobre 2017

Je mets le bout de pain dans ma bouche, mâche deux ou trois fois et avale rapidement en essayant de penser à autre chose. Pour la deuxième fois, on nous donne à manger cette soupe au jus de viande et au fort goût de sang. Autant, les kebabs de poulet sont supportables et même appréciables. Mais ça ! Impossible.

Nous sommes arrivés à Bushehr avant-hier. Avant cela, nous avons passé quelques jours à Shiraz, logés dans le camping-car-disco d’Abbas, un vieil iranien qui a construit cette maison ambulante pour échapper dès qu’il le peut à une vie conjugale déplaisante. Nous partageant ses témoignages émouvants en même temps que les fonctionnalités cachées de son véhicule, il nous invite à une soirée musicale et arrosée dans un petit jardin privée. De quoi se détendre avant de repartir pour la côte du Golfe Persique, avec son atmosphère chaude et humide, ses eaux bleues, ses palmiers-dattiers, ses hôtes-pédopsychiatres et… ses délicieuses soupes au sang.

Je dois le dire, je n’ai pas été plus emballé que ça par la cuisine iranienne. Le riz me lasse, le poulet me lasse, et les soupes me dégoûtent. Mais dans une optique de voir le bon côté de toute chose, je préfère plutôt vous dire ce que j’aime !

D’abord, il y a le « Khamé », découvert à Tabriz. Il s’agit ni plus ni moins de la peau du lait, récupérée pour remplacer avantageusement le beurre. Un vrai délice sur du pain avec du miel ou de la confiture ! D’une manière générale, nous avons beaucoup aimé ce que nous avons mangé à Tabriz, car c’était cuisiné par la merveilleuse Nasrin ! Puis il y a les omelettes à la tomate servies au petit-déjeuner, qui ressemblent aux « Menemen » turques. Dans le Sud, il y a les falafel, qui nous avaient bien manqués depuis la Grèce. Enfin, la région de Bushehr où nous nous trouvons est réputée pour ses dattes, qui comptent parmi les meilleures que j’aie jamais goûtées.

Allez. Une dernière bouchée, un dernier coucher de soleil, une sortie vélo improvisée, un petit bain dans l’eau délicieusement chaude du Golfe Persique et nous repartons vers le Nord.

Golfe persique, Bushehr

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CULTURE DU GROUPE

De Bushehr à Sanandaj

Après plus de six semaines en Iran, je ressens le besoin de me retrouver un peu seul. Anaïs et moi profitons d’une randonnée dans le lit d’une rivière au Sud de Shiraz pour nous arrêter deux nuits dans la nature. Mais avant, il va falloir convaincre les quarante iraniens qui nous accompagnent de nous laisser.

Oui, les iraniens aiment être en groupe ! Et l’une des activités les plus prisées le week-end, c’est la randonnée à 20, 40, ou plus. Notre ami Abbas nous a proposé de l’accompagner dans l’une de ces escapades ; c’est donc accompagnés de dixaines de joyeux lurons que nous nous enfonçons dans le lit de cette rivière sauvage, mouillant nos chaussures à chaque méandre traversé dans un canyon qui se fait de plus en plus profond. L’endroit est magnifique. En milieu d’après-midi, nous nous arrêtons pour pique-niquer et nous baigner dans les piscines naturelles, que surplombent des falaises de roche lisse. L’eau est fraîche mais le soleil et les rires réchauffent le corps et le coeur. Au moment où le groupe repart, il faut un peu de temps pour convaincre Abbas de nous laisser ici. Il a peur pour nous, et tente de nous persuader de nous rapprocher au moins du village d’à côté. Comme beaucoup d’iraniens, le fait de rester seul dans un endroit isolé, au milieu d’une nature inconnue, l’inquiète beaucoup. C’est peut-être pour ça qu’ils randonnent toujours tous ensemble !

 

Après ces deux jours de repos, nous repartonos en stop pour le Kurdistan. Dans les villes d’Arak et Hamedan, nous abordons les gens dans la rue pour trouver un hébergement. Cela mène à de belles rencontres ! A Sanandaj, en plein milieu du Kurdistan iranien, nous passons une première nuit sous tente dans un parc, puis nous devenons amis avec les employés et le propriétaire d’un restaurant, et finissons par être accueillis dans la famille de son beau-frère. Et là, rebelotte ! Nous sommes invités à une randonnée dans la montagne avec… soixante-cinq personnes ! Lever à 5h du matin pour un départ au lever du soleil. Les paysages sont merveilleux, nous discutons avec nos nouveaux amis tout en marchant. Ils nous expliquent un peu la situation des Kurdes en Iran : cette discrimination ordinaire qui fait qu’ils ont plus de mal à trouver du travail, et que les postes importants, même ici, sont souvent occupés par des iraniens perses. Comme Hemn, un prof d’anglais et de violon à Sanandaj, nous les sentons très tournés vers le mode de vie occidental, souvent désireux de s’échapper, et pourtant encore liés à la vie rurale de leur famille. De retour dans la ville, nous passons encore une journée avec les jeunes kurdes avant de repartir. Deux semaines plus tard, un violent séisme secouera la région. Heureusement, nos amis n’ont rien eu malgré les nombreux dégâts.

 

Après nous être attardés au Kurdistan, nous retournons enfin à Tabriz, pour de joyeuses retrouvailles avec Iraj, Nasrin, Sina et Romina, avant de quitter l’Iran pour la Turquie.

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CONCLUSION EN MUSIQUE

L’Iran, un pays où la musique est contrôlée, où il est interdit aux femmes de chanter et danser en public, où le mois de Muharram étend ces règles à tous sans exception… est paradoxalement l’un des pays où nous aurons le plus chanté, dansé et écouté de musique ! Alors terminons cet article par une petite échappée musicale. Merci à Anaïs pour le montage !

Parlant d’Anaïs, je vous encourage d’ailleurs à aller lire son propre article sur son blog « Mets les voiles et pédale ». Il est bien plus personnel que le mien et vous apportera plein de précisions !