Je n’aurais certainement rien écrit sur ces trois semaines de volontariat s’il n’y avait pas eu la dernière soirée. Car l’expérience de ce lieu d’écotourisme perdu dans la montangne crétoise n’a pas toujours été facile à vivre. Ayant mal défini à l’avance les modalités de l’aide que j’apporterais à mes hôtes en échange du gîte et du couvert, j’ai plusieurs fois envisagé de partir prématurément, suite à des sessions particulièrement pénibles de frottage-de-table-en-bois-pendant-deux-heures-avec-une-éponge-dans-le-but-de-la-décrasser, ou suite à des journées passées sans échanger plus de dix phrases en pseudo-grec avec un bulgare légèrement apathique – car, contrairement à ce que m’avaient laissé penser les échanges de mails en anglais avant mon arrivée, la plupart des personnes avec qui je travaillais parlaient uniquement le grec. Néanmoins, je me suis accroché, et après vingt-trois jours passés dans ce lieu, il est temps de faire un bilan positif de cette expérience :

J’ai appris que j’étais capable de survivre sans une égratignure à une chute de deux mètres de haut dans un ravin, de nuit, sous la pluie, écrasé par un vélo chargé. Je n’ai toutefois pas envie de revivre l’expérience.

J’ai fait de grands progrès en grec. C’est très impressionnant de voir à quelle vitesse on peut apprendre quelque chose quand on n’a pas le choix ! J’ai largement enrichi mon vocabulaire, intégré la structure des phrases simples, appis les petits mots de liaison qui font toute la différence, et suis maintenant capable de mener une conversation basique avec quelqu’un, même si je préfère laisser parler mon interlocuteur, car je comprends bien mieux que je ne parle.

J’ai appris à allumer un feu avec du bois très vert et de grosses quantités de petit-buisson-épineux-qui-fait-bien-mal-aux-mains, sans m’énerver outre mesure, bien que je continue de trouver ça incroyablement stupide.

J’ai fait la rencontre d’un voyageur grec et de son amie slovène, clients pour une nuit, avec qui j’ai passé toute une soirée à discuter voyages en regardant les étoiles et en buvant du vin. Lui-même est reparti en Inde quelques jours après, et m’a proposé de me prêter son appart à Athènes en avril.

J’ai appris à faire du béton. Ça me sauvera peut-être la vie un jour.

J’ai appris à dire « dindon » en grec. Ça aussi, ça peut être vital.

Ces deux dernières lignes, c’était avec Giorgios, qui est un peu le « doyen » du lieu. C’est aussi l’homme le plus bienveillant du monde, toujours doux et souriant, patient malgré ma lenteur à comprendre ses instructions en grec. J’aurais aimé passer plus de temps avec lui.

J’ai raté une énième cuillère en bois. Le manche était trop fin. Mais ce n’est que partie remise ; ceux qui connaissent la philosophie des Shadocks comprendront que plus on rate quelque chose, plus on a de chance de réussir la fois suivante.

J’ai revu Christian et Lysiane, les deux voyageurs en fourgon aménagé avec qui j’avais fait la traversée depuis Gythio ; ils sont passés me voir avant de repartir vers le continent. Encore toute une soirée à parler de mille et une choses, autour d’un plat de petits-pois-carottes spécialement cuisinés pour l’occasion !

J’ai fait un grand tour dans les montagnes environnantes. Du haut du sommet le plus proche, le regard porte jusqu’à la mer et la côte Nord-Ouest, qu’il parcourt de Kissamos à Chania, sur plus de 40 km. Entre les deux principales sortes de buissons épineux qui recouvrent d’après mon estimation 73 % de la Crète, broutaient une vingtaine de ces chèvres qui, quant-à elles, recouvrent 26,8% de l’île, les 0,2% restants étant recouverts par tout le reste – villages, plantations, routes, plages, rochers, poules et dindons, humains et deux ou trois autres choses insignifiantes.

J’ai aussi pris beaucoup de douches chaudes, assez pour compenser toutes celles que j’avais manquées depuis le début du voyage.

J’ai appris le mot « Malaka », qui est assez récurrent dans les discussions entre jeunes. On peut plus ou moins le traduire par « crétin », prononcé affectueusement.

J’ai chanté et joué du ukulélé dans le restaurant. J’avais toujours rêvé de faire ça. Le dernier soir, j’ai été invité après mon « concert » à partager quelques verres de raki (la gnôle grècque) avec un groupe de clients fêtards assis à une table. Cette soirée inoubliable à discuter en anglais, grec et français avec tout un tas de gens différents a vraiment apporté une « bonne fin » à cette aventure.