Dans mon entreprise de trouver les points positifs de chaque chose de l’univers, il était temps que je m’attaque à un morceau de choix : la Lune. Cette dernière, outre ses marées, ses éclipses et ses loups-garous, dont les bienfaits sont bien connus, possède une propriété bien étrange, qui est de rendre étourdie toute personne ayant l’inconscience d’y égarer sa tête.

Malheureusement pour moi, mon sens de l’orientation parfois déplorable fait que je me retrouve souvent avec, selon l’expression consacrée, « la tête dans la Lune ». Cependant, les oublis causés par cet égarement, dont certains sont proprement inoubliables, m’ont permis de réaliser la grande force de ce caractère proprement schismique. Et ce, selon trois axes :

Le premier, c’est l’apprentissage de l’amatérialisme. Car perdre un objet est la conséquence d’un oubli, soit que l’on ait oublié cet objet sur la route, soit que l’on ait oublié l’endroit où on l’a laissé. La première fois que l’on perd quelque chose, on éprouve inévitablement un sentiment de colère dirigé contre soi même (ou contre n’importe quelle autre chose, voir l’univers tout entier selon notre degré de mauvaise foi), colère qui est souvent proportionnelle à la valeur (affective ou financière) de l’objet perdu. Mais chez les oublieurs chroniques, cette colère fait place à une légère contrariété, voire une indifférence pure et simple chez les sujets les plus atteints. Ces individus, auxquels je m’identifie en toute modestie, ont donc appris à se détacher totalement des choses matérielles.

Si vous sentez qu’un objet a le dessus sur vous, et voulez retrouver votre indépendance affective, perdez-le.

Le deuxième axe, c’est l’apprentissage de l’autonomie. Car perdre un objet, c’est devoir s’en passer. La première fois que l’on perd quelque chose, on peut se sentir démuni, sur le plan matériel évidemment car l’on vient d’être dépossédé de cet objet, mais surtout sur le plan fonctionnel car on se retrouve alors incapable d’effectuer la tâche qui lui était attribuée. Mais chez les oublieurs chroniques, cette impuissance fait place à un calme méthodique, voire un plaisir intellectuel intense lié au fait de chercher des solutions alternatives chez les sujets les plus atteints. Ces individus, auxquels je m’identifie pleinement, ont donc appris être autonomes vis à vis des objets qu’ils utilisent.

Si vous sentez qu’un objet vous rend dépendant de lui, et voulez pouvoir vous en passer, perdez-le.

Le troisième et dernier axe, c’est la découverte de l’altruisme. Car oublier un objet, c’est le laisser à la disposition de quelqu’un d’autre. La première fois que l’on oublie quelque chose, on peut être amené à ressentir dans l’immédiat une certaine forme de misanthropie, dûe soit à de la jalousie envers la personne qui le trouvera, soit à une profonde paranoïa nous faisant croire à un vol. Mais les oublieurs chroniques savent bien que l’oubli d’un objet peut apporter du bonheur à quelqu’un qui en avait peut-être plus besoin qu’eux, ou bien leur apporter à eux-mêmes un grand bonheur et une immense gratitude, lorsqu’un homme en scooter les poursuit pendant 500 mètres pour leur rapporter leur casque de vélo, ou lorsque les employés d’un magasin leur rendent avec un sourire le ukulélé oublié la veille contre le mur extérieur, pour ne citer que deux exemples imaginaires sans rapport avec un quelconque vécu. Ces individus, auxquels je m’identifie un peu honteusement il est vrai, ont donc appris à aimer les autres êtres humains, pour leur consentement désintéressé à prêter un bout de cerveau à ceux qui ont égaré une partie du leur sur un satellite naturel.

Si vous sentez que vous perdez foi en l’humanité, et voulez retrouver votre optimisme, perdez un objet.